Abdou kader Diouck Saint-Louis le 20 /09 /20 Promotion 71
Et si l’élitisme tuait lesmathématiques au Sénégal ?
Bonjours, amis pontins.
J’ai lu dans un journal en ligne qu’à Kaolack, sur 12212candidats au bac général, 28 soit 0,2%
étaient de la série S1. Cela m’a poussé à consulter les statistiques dans la
région de Saint louis où 0,34%, soit 40 candidats sur 11469 se présentent au
bac S1. Les données de l’office du bac
font constater que, si en général, le nombre de candidats au bac augmente,
celui des candidats au bac mathématique diminue et de manière drastique.
Pour les candidats en série S1, on est passé de 0,4% en 2017à 0,3% en 2020, car en cette année, sur 151 647 candidats au bac général, on ne compte
que 473 en bac S1. Avec le nombremoyen de 30 élèves par classe, cela représente moins de 16 classes de TS1 sur tout
le territoire sénégalais.
Comparativement, en 2019, en Guinée Conakry avec un total de90 050 candidats au bac général, il y avait 6748 ADMIS au bac série mathématique qui est l’équivalent de notre bac S1.Rien que le nombre de leur admis avec mention (très bien, bien, assez bien) soit
1560 dépasse très largement le nombre de candidats du Sénégal au bac S1.
Faut-il rappeler que la population sénégalaise dépasse de 4 millions celle
guinéenne ?
La comparaison avec le Cameroun est encore plus alarmante.
Plusieurs départements et même certaines régions du Sénégal n’ontpas de classes de terminale S1 et quand cette classe existe, elle compte généralement
moins de 10 élèves.
J’ai vu ici à Saint Louis pendant l’année scolaire 2017-2018,un lycée privé ouvrir une classe de TS1 pour un seul et unique élève, car très
brillant, ce trois fois primé au concours général pouvait faire une bonne
publicité pour l’établissement, malheureusement à cause des maths ce considéré génie
n’aura pas comme attendu la mention très bien. Il se contentera de la mention
bien.
Le bac S1 est par excellence le bac mathématique, qui conduitaprès études universitaires à toutes les carrières scientifiques et techniques
sans exclusive, mais surtout à toutes les fonctions d’ingénieurs et plus
particulièrement pour l’intérêt de notre intervention, à la fonction de
professeur de mathématiques.
SI LES CLASSES DE TS1DISPARAISSENT, CERTAINES CATÉGORIES INGÉNIEURS, MAIS SURTOUT LES PROFESSEURS DE MATHÉMATIQUES DISPARAÎTRONT DU SÉNÉGAL. C’est alarmiste et peut-être excessif mais comme le ditl’adage mieux vaut prévenir que guérir.
Dans le cadre de l’harmonisation des programmes demathématique en Afrique qui est le HPM, le Sénégal a, depuis 1993 le même programme de mathématique que
les 19 autres pays francophones d’Afrique noire et de l’Océan indien (même si
en 2006, le pays a procédé à quelques ajustements pour, dans le cadre de
l’élitisme, augmenter les difficultés pour la TS1), alors on est en droit de se
demander, pourquoi au Bénin, on se retrouve
avec un taux de 3,34% de candidats au bac c, soit plus de dix fois celui du
Sénégal ?
Et ce constat est pratiquement le même si on compare leSénégal aux 19 autres pays. Pourquoi si
peu d’élèves sont intéressés par la filière mathématique même si eux et leurs
parents ont pleine conscience que cette dernière conduit à des professions
assez lucratives ?
Si le Sénégal qui fournissait à la Côte d’Ivoire, dans lesannées 80, des professeurs de mathématiques en forme bien moins 40 ans plus
tard, cela est à mon avis dû à un élitisme que l’éducation nationale a instauré
depuis 2006. Si les programmes sont
quasiment les mêmes avec les autres pays du HPM, les sujets de bac donnés au
Sénégal sont, depuis cette année-là, sans commune mesure avec les sujets des
autres pays, de par leur complexité qui conduit à de mauvaises notes dans cette discipline notée sur 160.
On écrème par la difficulté. Cet élitisme est malheureusementaccepté par la famille enseignante car j’ai été ahuri par les propos d’un enseignant, syndicaliste
de surcroît qui est scandalisé par les résultats au premier tour du bac avec
27% de réussite, pourcentage qu’il trouve trop élevé (parce que peut-être pour
lui le bac est réservé à une élite), allant même jusqu’à accuser l’état d’avoir
organisé une tricherie. Et dire qu’en France où on envoie notre élite, avoir
moins de 85% d’admis au bac est une catastrophe nationale. Je signale en outre que
cette année si les résultats ont été bon en TS1, c’est parce que le sujet donné
a été un vrai sujet d’examen. Corona oblige.
Au moment où beaucoup de pays optent pour des sujets à 4 ou 5exercices, permettant de mieux parcourir le programme et de donner plus de chance de réussite aux candidats, au Sénégal on en est
toujours au sujet à deux exercices et un problème. Le problème, noté entre 10
et 12 semble dire aux élèves : « seuls les petits génies peuvent me
résoudre».
A regarder la complexité, les notations et la façon de posercertaines questions, on constate que beaucoup de ces sujets ne sont pas donnés
par des profs titulaires la classe de TS1.
Un sujet demathématique à un examen doit être de sorte qu’un élève moyen puisse avoir 10
et un excellent 20. C’est pour cela qu’il est insensé de donner un sujetd’examen pour lequel le bon, le moyen ou le mauvais élève sont sur le même
pied.
Quand le sujet estbien fait un prof de la classe le lit et arrive à le faire de tête sans avoir à
écrire une ligne ce qui, à mon avis, est loin d’être le cas au Sénégal.
En lisant certains sujets de bac S1, je me suis posé la question de leur « cobayage ». Pour vérifier la complexité, la longueur, les défauts deconception, les redondances et les coquilles dans un sujet, un professeur de la
classe servant de cobaye, doit comme un élève et en utilisant des arguments
d’élève de la classe, rédiger proprement le corrigé dans les deux tiers du
temps imparti aux élèves. Si le cobaye peine à résoudre une question car elle
est complexe ou demande des aptitudes non habituelles pour un élève de la
classe, elle est à supprimer. S’il ne termine pas à temps, le sujet peut être
considéré comme long. Si des erreurs sont dans le sujet, lui il s’en rendra
compte, car ce qui arrive souvent au Sénégal est inadmissible : des
erreurs dans des sujets d’examen nationale. Le « cobayage » est
simple et efficace pourquoi s’en priver au nom d'une confidentialité comme si on doutait de la probité des enseignants ?
Cet élitisme qui crée des sujets très difficiles à l’examen, qui fait qu’au concours généraloù on donne des sujets de CAPES à des élèves de terminale, l’accessit est
devenu le premier prix de mathématique qui lui n’est presque jamais décerné, a des répercussions sur l’enseignement des mathématiques.
Pour préparer ses élèves aux quasisdevinettes posées à l’examen, le professeur de TS1, va lui aussi non pas
contrôler la maîtrise de son enseignement mais plutôt tester comme aux
olympiades de mathématiques, les capacités de conceptualisation et de
résolution de situations jamais traitées.
C’est pour cela que les classes de TS1 se vident au mois de décembre de
leurs élèves qui débarquent en TS2. Ces élèves qui abandonnent la classe
d’élite réussissent brillamment à leur bac et mieux que leurs camarades censés être
meilleurs. Cela signifie que les bourses
d’excellence n’iront pas aux meilleurs mais à ceux qui éviteront la piège de la
TS1. Comme diraient les ivoiriens « normalement, ce n’est pas
normal ».
Evidemment, voir les classes de TS1 se vider au premiertrimestre n’encourage point les enfants de seconde et première à poursuivre
leurs études en série S1. Ce qui me fait penser que si l’élitisme n’est pas la
seule cause des classes de mathématiques qui se vident, il est surement un
facteur prépondérant de cette mort programmée des mathématiques.
Il y a déjàune pénurie de profs de maths, les rares dont dispose le pays ont un emploi du
temps surchargé, n’ont pas pour certains d'entre eux fait maths à l’université et il ne leur
est pas organisé des séminaires de formation et perfectionnement pour améliorer
leur enseignement (En tout cas pas à Ndar depuis 3 ans que je suis là).
De plus, après avoir formé cette élite, à travers une bourse d'excellence, on en fait cadeau au pays développés où ils feront leur preuves et seront recrutés à des conditions largement au dessus des moyens du Sénégal et cela avant la fin de leurs études.
Si cet élitismecontinue, le ministre de l’éducation nationale risque, dans un futur très proche,
comme Diogène de Sinope, d’éclairer nos rues , en plein soleil, avec son téléphone portable,
à la recherche d’un scientifique.