Contribution au débat sur le comportement des Sénégalais- Par Mafakha TOURÉ *
La lecture de certains posts et analyses dans notre plateforme sur la société sénégalaise me pousse à apporter ma maigre contribution.
Le diagnostic et les analyses sont tout à fait pertinents, ils rappellent régulièrement et de façon suffisante les tares de nos sociétés. Malheureusement, les valeurs positives qui ont façonné les meilleurs de nous sont quasi absentes des analyses. C’est peut-être la lancinante question des trains qui viennent à l’heure.
C’est certainement une bonne perspective pour une sensibilisation sur nos défauts et insuffisances de s’attarder sur les faits quotidiens. Mais il demeure, sans verser dans une indulgence excessive, important de remonter plus loin dans l’histoire pour cerner ce qui est arrivé à nos sociétés, ce qui nous est arrivé.
N'oublions pas que nous sommes les produits de 1400 ans de domination tous azimuts ; 14 siècles de destruction sociale, de destruction de la base des systèmes d’éducation, et de consolidation des valeurs. Nos sociétés sont la résultante des torrents d’humiliation, des effets des séparations les plus atroces par l’esclavage, des guerres et des rapines.
Cette longue période de domination, d’exploitation et de frustration a certainement eu des conséquences funestes sur les populations et sur leur mentalité. La plupart des valeurs ont été déconstruites remplacées par des comportements individualistes de « survivants au génocide », des comportements sociaux dont les effets nous heurtent au quotidien.
Regardez nos rapports avec l’intérêt général. Le chemin a été long, pénible…échapper à l’esclavage, résister à la domination, à la torture, échapper…lutter pour sa propre survie était l’unique solution pour la grande masse. Dans ces conditions, que pouvait bien signifier « bien public »? On voyait apparaître de nouvelles attitudes de substitution qui pouvaient se lire dans les expressions populaires du genre, « mbeedum buur, alalu buur…, »
Nos rapports avec l’autorité s’inscrivent dans la même ligne. La lecture du dernier ouvrage de Amadou FALL nous renseigne à suffisance sur cette question. Quand les chefs ne sont là que pour leurs propres intérêts et ceux des dominateurs, quand leur rôle n’est que de punir, d’humilier,… il y a des chances que la tricherie, la corruption, la duplicité soient un mode d’administration mais aussi un comportement social pour la survie. On n’obéit plus à personne.
Notre rapport avec le temps est aussi une préoccupation majeure. On le constate à travers certains termes et comportements. Rien n’est problème, rien de grave!!! a-t-on coutume de dire. « L’heure sénégalaise », les retards, les rendez-vous manqués ne blessent personne. En vérité, une aussi longue période de domination déconstruit inéluctablement les valeurs repères, elle anéantit les initiatives. La gestion du temps est liée à la liberté.
Nos rapports avec l’argent constitue aussi une préoccupation majeure. Le gain facile avec tout ce que cela comporte de paresse, de corruption, de désordre, d’indiscipline…il suffit de regarder autour de soi : les garages, les ateliers, les commerces sauvages, la friperie dans toute sa splendeur.
Cette dernière consacre notre refus d’être nous-mêmes. Elle témoigne de notre caractère extraverti. La friperie est une catastrophe nationale. Elle envahit tous les domaines de notre vie, des habits au sacs à main en passant par les draps de lit. La vente de voiture de seconde main, de pièces de rechange, de meubles « venant» appartiennent à ce monde.
Je m’appesantis sur la friperie pour montrer combien ce virus silencieux participe au maintien des fléaux de l’histoire de nos sociétés.
La friperie sale et dégradante embrasse notre intimité (les draps de lit, les soutien-gorge, les slips) et envahit tout l’espace public, tous les coins de rue, les trottoirs, les halles des magasins et même les passerelles surplombant les voies ne sont pas épargnées. Elle est sans conteste une destructrice de l’économie, à l’origine de la disparition de beaucoup d’emplois: forgerons, tailleurs, cordonniers, et de la fermeture de plusieurs PME.
Cette culture extravertie se consolide chaque jour davantage. A côté des mauvaises habitudes de consommation extravertie : oranges, pommes, riz et autres spéculations étrangères tueuses de l’agriculture vraie pourvoyeuse d’emplois et de stabilité, apparaissent les chinoiseries. C’est le nouveau courant de la facilité, de la pacotille à un niveau élaboré. En réalité une industrie d’inhibition du développement national.
Tous ces éléments qui, de prime abord, semblent peu déterminants sont en réalité des forces plombantes dans notre société. Ils continuent de consolider ces élans de l’imaginaire collectif : « tuut té teew, ndiarign loo fekee… », Ce qui consacre amplement de l’impatience, le manque de confiance et l’insécurité. Dans un tel contexte, l'éducation ne pouvait plus être une priorité car il s’agit là d’un investissement à long terme. C’est comme planter et entretenir une forêt alors qu’on est sûr de ne pas jouir directement des fruits. Il faut de générosité pour investir ces créneaux...
Le regard historique est nécessaire pour bien cerner notre condition et trouver les solutions idoines. La longue traversée faite de souffrance, de séparation, de peurs, de travaux forcés, de traumatismes divers, a probablement agi profondément sur notre nous, sur notre ADN. Elle (ADN) enregistre et fixe lentement mais sûrement (sur des années) toutes les stimulations extérieures qu'engendrent nos comportements sociaux. Le vécu de nos ancêtres, loin d'être perdu, se trouve tapi au plus profond de nous. Mieux, c'est dès la naissance que chacun profiterait en droite ligne de l'expérience de ses aïeux. Les chercheurs Kerry Ressler et Brian Dias, de l'université Emory d'Atlanta (Etats-Unis), ont fait une extraordinaire découverte en observant, pour la première fois, la transmission d'un souvenir via … l'ADN ! Le secret de cette incroyable transmission mémorielle s'appelle l'épigénétique. Selon les recherches les plus récentes, là où la séquence des gènes ne change qu'au gré de mutations rares et aléatoires, les modifications épigénétiques sont régulièrement provoquées par les expériences que nous vivons et changent la façon dont s'exprime l'information contenue dans les gènes. Voici quelques exemples : la pratique d'un sport entraîne des modifications de l'ADN qui changent la manière dont s'exprime un des gènes essentiels au métabolisme du glucose ; vous avez peur des chiens ? il se pourrait que votre grand-père se soit douloureusement fait mordre dans sa jeunesse. Vous aimez particulièrement le gras ? c’est peut-être parce que votre arrière-arrière-grand-mère a connu les affres de la faim pendant la guerre quand bien même elle n’osa pas en parler.
Nous transmettons ainsi à notre descendance et sur plusieurs générations, ce que nous avons appris et enregistré.
Tout cela doit permettre de comprendre nos comportements actuels, ce que nous dénonçons à travers cette plateforme. Il est vrai que notre société est malade. La dénonciation est nécessaire. Mais, il ne sert à rien d’être dans d’interminables élucubrations comme certains le disent, dans ce qui ressemble à des accusations ou de l’autoflagellation. Nous avons besoin d’actions.
Quelles solutions pour notre pays? Quelles stratégies?
Il doit être clair que nous ne serons pas les bénéficiaires directs. C’est un investissement à long terme qu’il faudra.
De bonnes pratiques existent sur cette terre. Regardons du côté du Japon. Les réformes du Meiji ont réussi à vaincre les difficultés de la division, de l’isolement, de l’adversité de la nature, l’éloignement et à transformer les contraintes en opportunités, des populations en un peuple par l’éducation. Certains disent que l’éducation est une arme puissante; «education is the best single investment ». Tout le monde le sait, depuis fort longtemps.
La redéfinition des priorités en matière d’éducation, la révision des curricula, la recherche approfondie sur les questions comportementales, nos perceptions, les valeurs et de façon plus générale sur les questions culturelles, méritent d’être entreprises.
Des campagnes ciblées de communication et d’échanges pourraient fonder la nouvelle perspective de mise en œuvre des stratégies retenues. Il s’agira de partager amplement sur nos préoccupations.
Il conviendra également de magnifier le rôle de ceux qui ont résisté, d’exalter leur bravoure plutôt que de tout nier. Beaucoup ont payé très cher, de leur vie, pour défendre leur honneur, leur dignité et leur liberté et celle de leur peuple. Il y a encore des gens honnêtes, travailleurs, incorruptibles qui n’ont pas vendu leur dignité. Que fait-on de ceux que le peuple, la nation, célèbre chaque jour ? Doit-on mettre en pertes et profits leurs efforts ?
Cela doit entrer dans la stratégie globale d’éveil et de sensibilisation.
Il faudra aussi savoir choisir ses dirigeants ; un puissant leadership est nécessaire pour la conduite des réformes, des dirigeants capables de comprendre ce qui est arrivé aux citoyens, le mal dont ils souffrent et les enjeux des meilleures stratégies, des dirigeants capables de défendre les intérêts nationaux, de protéger les ressources nationales plutôt que de livrer le pays « poings et pieds liés», comme le firent naguère les roitelets corrompus, les colons et leurs valets.
Ma conviction est que c’est par l’éducation que nous changerons le cours de l’histoire, les valeurs refondatrices passeront par là. Le nouveau type d’homme et de femme, l’amour du travail, la démocratie.
(*) Mafakha TOURÉ est de la promotion 1971
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