AMICALE DES ANCIENS DE L'ECOLE NORMALE WILLIAM PONTY

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Éléments pour une éducation aux valeurs - Par Modou Ndiaye *

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L’avis le plus partagé aujourd’hui parmi les acteurs de l’éducation est sûrement l’urgence à introduire dans les programmes scolaires l’éducation aux valeurs morales, éthiques et citoyennes en raison des mutations inquiétantes observées dans les comportements et les manières de coexistence sociale. A l’école, la violence est aujourd’hui chronique dans les rapports :

 

  • entre enseignants et enseignés, s’illustrant par l’agression physique des premiers par les derniers,
  • entre enseignants et autorité de tutelle, se manifestant par les grèves cycliques hypothéquant sévèrement le temps d’apprentissage,
  • et même, phénomène nouveau, dans les rapports entre enseignés et environnement, comme en témoignent les destructions en fin d’année de matériels et mobiliers scolaires par les élèves eux-mêmes.

 

Au niveau de la société, la même violence semble vouloir aujourd’hui s’incruster en profondeur dans le substrat communautaire si l’on en juge par la gravité et  l’aveuglement  des destructions lors des manifestations de mars 2021 et juin 2023, destructions de biens publics et privés, de lieux et objets de savoir, comme le saccage des universités Cheikh Anta Diop de Dakar, Assane Seck de Ziguinchor et Gaston Berger de Saint-Louis, des archives académiques, des amphithéâtres et salles de cours, des bureaux d’enseignants, des bus pédagogiques, destructions que la communauté universitaire à l’unanimité a déplorées et dénoncées avec force.

 

L’ampleur de cette décadence des valeurs positives se mesure également  au niveau sociétal dans la récurrence des faits de mal gouvernance, de corruption, d’injustice, de laxisme devenus aujourd’hui monnaie courante dans notre pays et qui plombent tout élan vers le développement.

 

Pour stopper et inverser la dynamique, il ne fait point de doute qu’il nous faut recourir à l’éducation aux valeurs comme remède ultime et incontournable, éducation à laquelle il convient d’accorder la primauté dans tout projet de formation si tant est qu’on veut faire de nos élèves et étudiants des citoyens qui soient utiles à la société[i]. En effet, les connaissances seules ne suffisent pas. Rabelais disait « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », maxime qu’on peut compléter en y ajoutant « et de la société ». Pour être mises correctement au service de la société, pourvu qu’elles soient bien maîtrisées, les connaissances acquises à l’école doivent être portées par des valeurs positives, des valeurs de générosité, d’intégrité, de justice, de liberté,  de démocratie, de patriotisme, de respect d’autrui, du bien public et des droits de l'homme, une volonté de vouloir servir et non se servir… Autrement,  elles peuvent devenir contreproductives et s’exercer au détriment de la communauté. Cheikh Anta DIOP  avait, certes, raison dans son appel aux africains à « s’armer de sciences jusqu’aux dents » pour relever le défi du développement. Force est aujourd’hui de compléter cet appel en invitant les africains à se pétrir jusqu’à la moelle épinière de valeurs morales, éthiques et civiques.

 

La question se pose dès lors de savoir par qui et comment réussir ce projet d’éducation aux valeurs.

 

A l’évidence, l’école apparaît aux yeux de tous  comme le principal endroit où doit se  réaliser cette ambition. Cependant, d’autres instances, telles que la famille, les médias (toutes catégories confondues), voire les partis politiques, ne doivent pas être reléguées au second plan car elles ont aujourd’hui un rôle tout aussi important dans la transmission et le respect des normes et des valeurs de la société.

 

Concernant la famille, première instance de socialisation, le constat est fait de la démission totale des parents, écartelés entre les contraintes professionnelles et charges de toutes sortes. Des  actions ciblées de sensibilisation doivent être menées leur rappelant leur responsabilité  première dans l’éducation de leurs enfants. Ces actions peuvent être accompagnées par l’Etat  par  des mesures d’incitation, voire de décharge horaire pour leur faciliter, le cas échéant, d’assumer correctement cette obligation.

 

Concernant l’école, l’éducation aux valeurs doit se retrouver à tous les cycles et niveaux du préscolaire à l’université.  La morale (vivre ensemble) et l’instruction civique figurant toujours dans les programmes (cycles élémentaire et moyen) avec  des thématiques fort bien élaborées, doivent cependant être dispensées avec régularité, puisqu’elles correspondent aux disciplines par lesquelles l’enfant acquiert les bons comportements, les règles de conduites et de relations  sociales, le sens des institutions et les valeurs de la république, les droits et obligations …

 

De la petite enfance à la fin du cycle élémentaire, l’éducation religieuse devrait aussi être effective, la religion étant, en effet, par essence, le modèle d’enseignement des valeurs morales. De fait, au Sénégal pays à 98% croyant, les familles s’organisent toujours pour donner à leurs enfants une telle éducation (par l’enseignement coranique pour les musulmans ou par le catéchisme pour les chrétiens). Si bien que la décision de l’Etat sénégalais d’introduire l’enseignement religieux à l’école en le rendant optionnel (loi 2004-37 du 15 décembre 2004) ne fait que traduire des pratiques déjà largement installées.

 

Pareillement durant les  premières années de scolarité (préscolaire et élémentaire), il y a lieu, comme support, de recourir abondamment au conte, genre oral traditionnel, pour faire acquérir avec le maximum de réussite les valeurs morales fondatrices de nos sociétés africaines. Quoi de plus performant, en effet, que le récit « la cuillère sale » (« Coumba am dey, Coumba amul ndey) pour susciter chez l’enfant le respect des parents et des aînés, l’humilité, la persévérance, la discipline ? C’est par respect des parents et par persévérance que « Coumba amul ndey » a accepté d’accomplir le laborieux trajet vers la mer de Ndayan pour aller laver la cuillère sale sur injonction d’une marâtre maltraitante ; c’est par respect de l’autre, des personnes âgées notamment, qu’elle saluait sur son chemin les génies qu’elle croisait et qui la bénissaient et lui prodiguaient conseils et recommandations. C’est par discipline qu’au retour de Ndayan, elle a suivi scrupuleusement les recommandations concernant les œufs magiques qui, cassées dans l’ordre, lui ont donné protection, richesse et victoire ;  à l’opposé de « Coumba am ndey, dont les contrevaleurs ont entraîné la perte.

 

Les proverbes, condensés de la sagesse millénaire des sociétés, de leurs expériences et modes de fonctionnement, ont les mêmes vertus que le conte et doivent aussi inspirer davantage les démarches et pratiques d’enseignement. Des contes et proverbes et divers autres récits traditionnels, il ne faudra, cependant, retenir que les contenus positifs en conformité avec les valeurs retenues.

 

Au cycle secondaire, l’éducation aux valeurs passera essentiellement par l’étude des textes littéraires et philosophiques ainsi que par l’histoire des hommes et des peuples. Ce cycle est déterminant  dans la construction de la personnalité des jeunes, parce qu’il coïncide avec l’adolescence, période d’âge où s’élaborent et se consolident les convictions idéologiques fortes. Il importe, par conséquent, d’accorder le plus grand soin au choix des textes à étudier en classe afin qu’ils soient adaptés à nos projets de citoyen et de société. Le moment est venu d’introduire dans les programmes scolaires l’histoire des guides spirituels, des personnalités et des penseurs sénégalais et africains qui ont contribué par leurs actions et leurs réflexions à l’avancée de nos sociétés afin de les offrir comme références à la jeunesse. Au moment où l’on parle de réarmement moral de la jeunesse, il est incompréhensible qu’entre autres écrits de nos érudits et guides religieux, un khassida comme Tazawudu sixaar (Le viatique des adolescents)

 

de Cheikh Amadou Bamba ne soit pas inscrit au programme d’étude des lycées et collèges (note). L’auteur y prodigue aux jeunes de précieux conseils, dont on peut mesurer la pertinence et l’actualité par ces vers (281 -285) :

 

« - Evitez la prolixité, l’excès de sommeil, écartez-vous de tout ce qui engendre la corruption

« - Evitez partout où vous êtes l’ostentation, la fierté, la haine et recherchez toujours la lumière

« - Je vous recommande la sincérité, l’abandon confiant à DIEU, la modestie, la sobriété

« - Je vous recommande d’augmenter votre politesse, car cette vertu attire la récompense

 « - Avoir une érudition sans lui concilier une politesse    

          engendre péril et peine »

 

A l’université, les mêmes démarches s’imposent pour les filières de sciences humaines et sociales pour lesquelles les programmes de littérature, de philosophie et d’histoire devraient être réajustés vers cet objectif d’une éducation  aux valeurs citoyennes sans toutefois remettre en cause l’ouverture et la liberté académique. Comment admettre que Hegel, suprême négateur  des africains demeure toujours dans les programmes universitaires pendant que Cheikh Anta Diop, l’auteur de Nations nègres et culture  y soit encore absent ?

 

En sus de la famille et de l’école, les medias représentent de nos jours une haute instance de formation aux valeurs, instance où celles-ci se renforcent ou se déconstruisent à volontiers. Les violents évènements de fin d’année en 2021 à l’issue desquels les élèves détruisent les matériels et mobiliers scolaires témoignent bien de l’impact des médias (classiques comme nouveaux)  sur les comportements. C’est, en effet, à la suite de la diffusion à la télé de scènes similaires dans les établissements scolaires français que par mimétisme les lycéens sénégalais se sont livrés aux mêmes actes de vandalisme. Il revient ainsi aux journalistes la responsabilité de filtrer et/ou faire suivre de commentaires les informations reçues plutôt que de servir de simples relais de diffusion et les transmettre sans aucun travail critique.

 

Concernant les partis politiques, les nouvelles manières de manifester par la violence aveugle indiquent bien une défaillance dans leur mission  de formation et d’encadrement de leurs militants, une mission d’éducation aux valeurs positives de patriotisme, de respect des biens et services publics comme privés, qu’ils assumaient admirablement dans le passé, (surtout quand ils étaient de gauche). Au Sénégal, l’on se souvient bien  de l’implication de dirigeants politiques (pourtant de l’opposition) pour ramener à la raison  les élèves et étudiants quand les piquets de grève viraient aux saccages  des bus de la Sotrac et d’autres biens publics.

Les partis politiques ont un rôle important à jouer dans la formation des populations aux valeurs citoyennes, républicaines et démocratiques. Aussi, est-il  nécessaire de restaurer les écoles de partis ainsi que les journaux d’éducation politique et tout autre dispositif d’éducation au sein de ces partis dont la disparition a infailliblement  déteint sur la qualité des militants de base voire de la plupart des élites politiques.  Cela  apparaît comme un impératif si on veut éviter le chaos et l’anarchie, en faisant assumer aux  partis politiques  le leadership de la dynamique sociale, dans un contexte où l’injustice et l’extrême  pauvreté ont produit, un peu partout dans le monde,  une catégorie sociale complétement à la marge, qui ne se retrouve pas dans le système et qui est prête à faire tout sauter.

 

Pour conclure qu’en vérité, la question des valeurs relève d’une responsabilité largement partagée. Elle interpelle les instances ainsi énumérées que sont la famille, l’école, les médias et les partis politiques, mais au-delà, elle  engage, dans ce qu’ils disent mais aussi et surtout dans ce qu’ils font, tous ceux dont la mission ou la fonction est d’être écoutés ou regardés, tous ceux en situation de diffuseur de paroles, d’images, de comportements : des artistes aux politiques en passant par les imams, les stars sportifs… Les valeurs à transmettre passeront bien plus par les comportements, les faits et gestes que simplement par les cours en classe, les propos et discours. C’est donc d’un sursaut collectif dans nos manières d’être que le défi sera relevé.

 

(*) Modou NDIAYE est  Professeur  Titulaire, UCAD

Président de l’Amicale des Anciens Elèves de l’Ecole Normale William Ponty

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



18/08/2023
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