Fier d'être Pontin : Réflexions sur les événements de 1965 - Par Serigne Malik SALL *
Quand, en octobre 1964, j’ai foulé pour la première fois le sol de l’école normale William Ponty de Sébikhotane, mes pensées sont allées à une amie de ma mère, tante Diarra. Cette dernière ne cessait de me répéter «Puisses-tu aller étudier à Sébikhotane». Ce à quoi je répondais invariablement «Moi je veux aller continuer mes études à Saint-Louis». En effet, pour le jeune lougatois que j’étais, comme pour la plupart des élèves de ma ville natale, mon univers post primaire ne dépassait pas l’ancienne capitale du Sénégal. Et tante Diarra de renchérir «Serigne, une formation aboutie passe obligatoirement par Sébikhotane».
Les trois années que j’allais passer dans ce prestigieux établissement me réconforteront sur le prestige et la réputation dont il jouissait dans les coins les plus reculés du Sénégal voire des pays de l’ex AOF.
Alors qu’au collège normal de Mbour on m’avait inculqué discipline et goût du travail, à «Sébi» j’ai acquis organisation, méthode et sens des responsabilités.
Ces vertus commenceront à se manifester en cette année 1965 lors d’un mouvement de grève enclenché en début février et qui durera six semaines. Ce mouvement, inédit à cette époque, dut sa réussite à l’approche et à la stratégie développées. Il s’agissait de revendications propres aux normaliens que nous étions. C'est la raison pour laquelle nous avions décliné poliment le soutien des autres lycées du Sénégal. Nous avons juste demandé à nos camarades lycéens, en plus d'un soutien moral, un appui financier aussi modeste soit-il ; ce, en vue de faire face à certaines dépenses liées aux exigences de la lutte.
Pour arriver à nos fins et pour éviter de prêter le flanc, nous fîmes appel à l’engagement décennal qui nous liait à l’Etat.
A travers une lettre manuscrite écrite par chaque élève, nous présentâmes notre démission tout en réclamant une affectation comme instituteurs, vu qu’il nous était impossible de rembourser les frais de formation comme le stipulait le contrat. Quelle stratégie !
L’administration était tellement abasourdie que le ministre de l’Education est venu à Sébikhotane dans l’après-midi du premier jour de grève. Il se passa ce jour là un incident surréaliste qui conforta ce sens des responsabilités dont je parlai tantôt. Alors que le ministre tournait les talons après nous avoir menacé de représailles si nous ne retournions pas en classe, une voix fusa de l’assemblée «M. Le ministre ne partez pas. Reconnaissez que votre présence ici est une capitulation. Restez discuter avec nous». La voix était forte, audible, sans insolence ni outrecuidance, mais pleine de conviction.
Cette grève fut menée avec maestria par un comité national de lutte épaulé par des comités locaux établis dans les villes où résidaient des Pontins. J’eus l’honneur de diriger celui de Louga et nous eûmes à affronter le conseil municipal qui voulait casser notre dynamique.
Six semaines après le déclenchement de la lutte, le comité national et le gouvernement conclurent
un accord à la satisfaction des deux parties. Tout s’est déroulé sans bris de verre ou d’assiette, sans détérioration de quelque mobilier que ce soit. Une autre preuve de maturité.
Soulignons que cette longue lutte n’eut aucune incidence sut nos performances académiques ; les résultats et le niveau de la formation n’ont jamais baissé. C’était ça l’esprit Ponty : on lutte mais on travaille.
Oui tante Diarra avait raison : Sébikhotane était un passage obligé pour moi.
(*) Serigne Malik SALL est de la Promotion 1964-1967
PS : Ce sens des responsabilités nous a permis, en 1967 à Thiès où l’école fut transférée un an plus tôt, d’affronter un directeur arrogant qui voulait piétiner notre dignité.
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