L’Université Cheikh Anta Diop, à travers la Faculté des Lettres et sciences humaines (Flsh), a abrité, du 24 au 26 avril 2025, un colloque international en hommage au professeur Modou Ndiaye. L'événement a été mis à profit pour revenir sur le parcours inspirant de l’un des meilleurs spécialistes de la syntaxe qui s’est aussi illustré dans l’enseignement de la grammaire et de la linguistique du français moderne et contemporain.
Ancien instituteur devenu professeur d’université, puis chef de département de Lettres modernes et directeur de l’école doctorale, Modou Ndiaye a été célébré, hier, par la communauté universitaire. Ils sont venus de partout à travers le monde pour prendre part au colloque international en hommage à ce pur produit de l’école normale William-Ponty que d’aucuns considèrent comme pépinière d’enseignants de talent, de cadres et d’hommes politiques africains. Le Pr Modou Ndiaye, actuellement à la retraite, selon les témoignages de ses pairs, fait partie de ses hommes qui ont marqué l’histoire de l’enseignement du français en Afrique occidentale. Dans son parcours, selon une note partagée à l’occasion, il a franchi tous les ordres d’enseignement : de l’élémentaire à l’Université en passant par le moyen secondaire, en qualité d’apprenant ou d’enseignant.
Après quelques années au service de l’école élémentaire, il poursuivra ses études au Sénégal, puis en France où il soutiendra une thèse de doctorat à l’Université de Provence Aix Marseille 1. De retour au Sénégal, il entame une carrière d’enseignant-chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) à partir de 1989. « Il fait ainsi partie de ces élites nationales africaines qui ont pris progressivement la relève à l’Ucad après le départ des coopérants occidentaux et qui ont perpétué leur longue tradition de recherche scientifique et de formation », soutient le coordonnateur du comité scientifique du colloque du département de Lettres modernes, le Pr Moussa Fall. « C’est l’une des icônes de l’Ucad. C’est un homme aux qualités humaines et intellectuelles rares », a-t-il indiqué. Pour le Doyen par intérim de la Faculté des Lettres et sciences humaines, Mamadou Bouna Timéra, le Pr Modou Ndiaye fait partie de « ces enseignants dont la trajectoire force le respect. Des champions de l’éducation et de la formation ».
Spécialisé dans les sciences du langage, le professeur Ndiaye est reconnu comme l’un des meilleurs syntacticiens (spécialiste de la syntaxe) en Afrique francophone. Il s’illustre notamment dans l’enseignement de la grammaire et de la linguistique du français moderne et contemporain. « Ses travaux accordent la primauté à la syntaxe », souligne le Pr Timéra. Pour son cousin et professeur d’anglais Gorgui Dieng, le professeur Ndiaye est l’incarnation de la solidarité agissante. « Tout jeune enseignant, Modou Ndiaye a commencé a manifesté sa solidarité, son soutien à toute sa famille et il le faisait avec désintéressement et discrétion. Sociable, courtois et respectueux, il aime rendre service à tout le monde », témoigne M. Dieng. Prenant la parole, Modou Ndiaye visiblement ému, se dit confiant que le flambeau sera porté plus haut si l’on se réfère, dit-il, au dynamisme de ses jeunes collègues en matière d’enseignement et de recherche. Selon lui, l’hommage qui lui a été rendu à travers ce colloque, « témoigne de la bienveillance et de la générosité d’esprit qui animent la communauté éducative, au-delà des frontières et des cultures ». Il n’a pas manqué de prier pour le repos de l’âme des professeurs Madior Diouf et Moussa Daff, qui l’ont accueilli respectivement en 1989 comme chef de département de Lettres modernes et en 2017 comme directeur de l’école doctorale.
Pape Coly NGOME
Le soleil
-______________________________
Discours d’ouverture du Président du Comité scientifique
(Prof. Moussa Fall, Université Cheikh Anta Diop)
Monsieur le Recteur de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Monsieur le Doyen de la Faculté des Lettres et Sciences humaines
Monsieur le Président du Comité d’organisation du présent Colloque
Chers collègues, Chers Conférenciers, Chers panélistes
Mesdames et Messieurs,
Chers étudiants,
Chers invités,
C’est un honneur pour moi, en tant que Président du Comité scientifique, de prendre la parole à l’ouverture de ce colloque international en hommage au Pr Modou NDIAYE.
À l’entame de mon propos, permettez-moi de rappeler le contexte.
Le Professeur Modou NDIAYE, figure éminente de notre communauté universitaire, vient d’être admis à faire valoir ses droits à une pension de retraite. Et nous avons voulu que ce colloque, par son thème même, porte la trace de son parcours, de sa rigueur intellectuelle et de sa profonde humanité. Pour ce faire, l’intitulé du thème est on ne peut plus congruent : « De la grammaire normative à la description des langues : entre perspectives didactiques et recherche scientifique ».
Qui a conçu ce thème ?
Cher Professeur Modou, ce sont vos anciens étudiants devenus collègues qui ont été si perspicaces pour nous le proposer.
Cher professeur, vous devez alors être fier de vous-même, car le disciple a tué son maître et le maître s’en félicite.
Oui, comme le phœnix de la mythologie grecque, le maître renaît toujours de ses cendres.
Évidemment, cher Professeur MODOU,
Votre nom est depuis longtemps associé, dans nos milieux, à l’excellence, à la constance et à l’humilité. Vous êtes de ceux dont l’érudition ne fait jamais de bruit, mais qui laisse des empreintes indélébiles.
Votre maîtrise rigoureuse de la syntaxe et de la lexicologie, domaines que vous avez explorés avec passion, a nourri des générations d’étudiants, d’enseignants-chercheurs et de collègues.
Mais au-delà du chercheur exigeant et méthodique que vous êtes, nous saluons aujourd’hui l’homme de cœur, d’écoute, et de profonde intelligence émotionnelle que nous avons eu la chance de côtoyer.
Vous avez toujours su, avec cette élégance discrète qui vous caractérise, conjuguer la rigueur scientifique à une bienveillance constante.
Serviable, disponible, toujours prêt à conseiller sans jamais imposer, à orienter sans jamais juger, vous avez incarné une forme rare de présence : à la fois intellectuelle et humaine.
Ce colloque est donc plus qu’un événement académique. Il est aussi un hommage vivant à votre parcours, un signe de gratitude collectif, et un prolongement naturel des réflexions que vous avez portées, soutenues et inspirées.
Le thème qui nous réunit aujourd’hui est au croisement de deux champs fondamentaux des sciences du langage : la réflexion sur la norme et la variation linguistique, et les enjeux de leur transmission, notamment dans un cadre didactique. Passer de la grammaire normative — souvent perçue comme prescriptive et rigide — à une description plus ouverte, plus dynamique, des langues, c’est poser un regard renouvelé sur les pratiques linguistiques, sur les identités langagières, et sur les finalités mêmes de l’enseignement.
Ce que nous voulons, à travers ce programme, c’est favoriser la rencontre entre les disciplines, les traditions scientifiques, les contextes d’enseignement – qu’ils soient francophones, multilingues, ou en contact permanent avec d’autres langues et cultures.
Ce déplacement de perspective ne va pas sans tensions ni résistances. Entre nécessité de clarté dans l’enseignement, souci de l’intelligibilité intersubjective, et respect de la diversité des usages, se posent des questions essentielles :
- Comment enseigner sans figer ?
- Comment décrire sans prescrire ?
- Comment accueillir la diversité des usages sans renoncer à l’intelligibilité commune ?
Autant de questions essentielles qui résonnent dans nos contextes respectifs, qu’ils soient locaux ou internationaux.
Ce colloque entend précisément croiser les regards théoriques, les expériences de terrain, et les voies innovantes d’enseignement et d’analyse des langues. Il accueille une soixantaine de contributions venues d’ici et d’ailleurs, et propose une pluralité de voix, à l’image de la diversité des langues et des pratiques qui nous réunissent.
Chères participantes, Chers participants, je vous invite à faire de ces journées un temps d’échange, de réflexion et de partage, mais aussi un moment de reconnaissance pour le Professeur Modou NDIAYE qui a su faire de la recherche un chemin d’engagement et de transmission.
Cher Professeur, vous quittez peut-être les amphithéâtres que vous aviez le génie de remplir au comble. Fort heureusement, en homme de sciences, vous assumez encore avec efficience vos responsabilités sociétales. Cher Professeur, c’est le prétexte pour moi, en ma qualité d’Inspecteur général de l’Education et de la Formation, en charge de l’élémentaire au Ministère de l’Education nationale, de magnifier ici l’ apport essentiel du Pr Modou NDIAYE dans la mise en œuvre de l’introduction des langues nationales dans le système éducatif sénégalais à travers le MOHEBS. Vous avez par ailleurs porté dans les fonds baptismaux LASCOLAF avec d’autres universitaires dont Pr Bruno Maurer ici présent. Merci Pr Maurer pour votre présence effective et à travers vous nous remercions tous ceux qui ont fait le déplacement ; bon séjour au Sénégal, Terre de la Téranga.
Pour finir, un seul mot, Pr Modou NDIAYE, Ma Cha Allah !
Au nom du Comité scientifique, qui n’a ménagé aucun effort pour la tenue et la réussite de ce colloque, Que Dieu vous garde, Que Dieu vous bénisse, Pr Modou !
________________________________
Discours de remerciements du Pr Modou Ndiaye
Monsieur le Recteur de l’UCAD
Monsieur le Doyen de la FLSH
Monsieur l’Assesseur
Monsieur le Chef des Services Adm et Tech.
Monsieur le Directeur de l’ED ARCIV
Messieurs les chefs de département,
Cher (e)s collègues enseignants chercheurs, chers participants, en vos grades et qualités
Chers amis, Chers étudiants,
Mesdames, Messieurs les invités,
C’est avec une réelle émotion et une profonde gratitude que je prends la parole aujourd’hui en cette cérémonie d’ouverture du colloque international organisé avec tant de générosité par la communauté académique, pour marquer mon départ à la retraite .
Me souvenant encore de mes débuts modestes en tant qu’instituteur en Casamance, alors que naissait mon amour pour l’enseignement, l’amour de transmettre des savoirs et d’éveiller la curiosité des enfants, je me dois avec vous (vous sollicitant), de glorifier le Seigneur, dire Al hamdoulilah quand au terme de ma carrière universitaire je m’aperçois être arrivé au grade le plus élevé dans la fonction d’enseignant chercheur. Cette étape du départ à la retraite apparaît souvent banal et ordinaire quand on y accède, mais quand on se retourne et qu’on regarde le long chemin parcouru, avec tous les risques du métier, tous les défis relevés, toutes les tentations à la facilité, alors seulement on mesure la grandeur du moment, un moment de faveur divine. Je me souviens, entre autres, de cette nuit où instituteur dans un village, m’apprêtant à aller au lit … j’aperçus un serpent d’une noirceur d’ébène enroulé sous mon oreiller, les yeux grands ouverts ; heureusement que j’avais à portée de main le caabi lawbe avec lequel je verrouillais ma porte de l’intérieur, et avec lequel Je réussis à lui fracasser la tête, n'ayant pas d'autres choix. Le lendemain, j'appris des habitants du village que c'était le serpent le plus venimeux et le plus dangereux de toute la localité.
Je me souviens également, ayant déménagé en 1994 de Grand Yoff à Keur Massar, qui était à l’époque une lointaine banlieue située à 25 km de Dakar, qu’il me fallait me lever vers 4h du matin pour sortir à 5h au plus tard de mon garage afin de pouvoir arriver à l’heure à l’université faire mon cours de 8h.
Mes premières années dans l’enseignement élémentaire, m'ont appris à découvrir et à aimer mon pays, ses régions et ses populations. Mes années à l’université, constituant l’essentiel de ma carrière professionnelle, m’ont appris la valeur de la persévérance, du contact humain , de la collaboration, ainsi que l’importance de bâtir des ponts entre les générations et de s’ouvrir à l’Afrique et au reste du monde.
Mon parcours académique n’aurait sans doute pas été le même sans l’appui et la passion communicative de mes collègues enseignants chercheurs ainsi que du personnel administratif et technique que j’ai côtoyé quotidiennement durant près d’une quarantaine d’années (pour certains), une dizaine d’années au moins pour d’autres.
Ils ont su m’insuffler l’énergie et la soif constante d’aller de l’avant qui font la force de notre métier.
Ils m’ont accompagné et ont collaboré avec efficacité, disponibilité et sincérité et ont rendu possibles toutes les victoires personnelles comme institutionnelles. Ensemble nous avons contribué à construire la faculté des lettres de Dakar et à faire de l’université Cheikh Anta DIOP une institution d’excellence et une fierté pour notre pays, comme peut en témoigner le dernier classement des universités dans le monde qui porte notre université à la 1ère place en Afrique francophone.
Je suis confiant que le flambeau que ma génération a essayé de maintenir jusqu’ici sera porté encore plus haut au vu du dynamisme de nos jeunes collègues dans les activités aussi bien d’enseignement que de recherche au sein des départements et des laboratoires
Cet hommage, dans le cadre de ce colloque international, me touche particulièrement car il témoigne de la bienveillance et de la générosité d’esprit qui animent notre communauté éducative, au-delà des frontières et des cultures.
Permettez-moi de remercier chaleureusement tous ceux qui ont rendu cette rencontre possible Le Recteur de l’UCAD, Prof. Alioune B. Kandji, le Doyen de la FLSH Prof. Mamadou Bouna Timéra, à qui je souhaite plein succès dans leurs nouvelles fonctions ; le Chef du Département de français Prof. Augustin Coly, le Directeur de l’ED ARCIV, Prof. Amadou Diallo et bien d’autres encore que je prie de se reconnaître dans ces remerciements.
Je remercie tous mes collègues, les anciens, ceux de ma génération, et particulièrement mes jeunes collègues de qui l’initiative de cet hommage est partie, le président du comité d’organisation, Prof Ousmane Diao, ainsi que le Président du comité scientifique, le prof. Moussa Fall. Je les invite à transmettre mes sentiments de gratitude à tous les membres des deux comités.
Au Professeur Madior Diouf, qui m’a accueilli en qualité de Chef du département quand je venais d’être recruté en 1989 et au Professeur Moussa Daff, à qui j’ai succédé à la direction du département en 2002 et à la direction de l’Ecole Doctorale en 2017, à tous les deux, éminents bâtisseurs de l’UCAD, rappelés à DIEU il y a quelques mois, j’implore une fois de plus la miséricorde divine et un séjour éternel à Firdaws.
Je remercie le Professeur Gorgui Dieng, mon cousin germain, des témoignages et des propos sympathiques à mon endroit. Il y a toujours eu une saine émulation entre nous. Et Je l’ai toujours estimé plus méritant parce que n’ayant pas eu autant d’opportunités que moi dans son parcours.
J’ai partagé avec cette belle communauté d’innombrables moments de collaboration pour maintenir le flambeau de l’UCAD, avec l’accompagnement des différents partenaires de l’université et du système éducatif sénégalais qui œuvrent chaque jour avec dévouement pour un Sénégal et un monde meilleur.
La présence à ce colloque de collègues venant de différentes universités du Sénégal et de différents pays, d’Afrique, de la France, du monde symbolise l’universalité de notre mission et l’espoir d’un avenir fondé sur la transmission des savoirs et le dialogue interculturel. A tous les participants à ce colloque, j’exprime avec émotion, mes sentiments de reconnaissance.
Je remercie mon épouse Marème Ndiaye qui m’a accompagné, a été à mes côtés de bout en bout, j’associe naturellement à ces remerciements mes enfants, tous les membres de ma famille, tous mes proches parents et amis directs ou par alliance .
A mes amis et frères de Keur Massar, à ceux de la randonnée pédestre du dimanche Grande famille, à mes confrères de l’Amicale des anciens de William Ponty, je renouvelle tout mon attachement et toutes mes amitiés.
Alors que je m’apprête à tourner une page et à entamer un nouveau chapitre de ma vie, je garde en moi le souvenir inaltérable des moments de partage, des défis surmontés et des victoires collectives qui ont jalonné ma carrière. Je vous invite à célébrer avec moi non pas un adieu, mais le prolongement d’une aventure humaine, celle de l’enseignement qui n’est pas seulement un métier, mais une vocation, un engagement de cœur qui place l’humain et l’avenir au centre de nos préoccupations et qui, à l’image d’un pont tissé entre le passé et l’avenir, traversera le temps avec la force des valeurs qu’il incarne.
Du fond du cœur, merci pour cet hommage émouvant. Puissent nos chemins continuer à se croiser et à s’enrichir des expériences partagées dans l’esprit de la connaissance et de la solidarité.
Je ne saurai terminer sans remercier vivement Prof. Mbaye Thiam qui était en droit de siroter ses trois normaux dans son jardin de son linguère natal ou auprès de ses amis mouhadam à Tivaouane, mais qui par générosité continue d’accompagner l’UCAD en pareille cérémonie. Je remercie et félicite son épouse, qui est en réalité la source de cette énergie.
Je vous souhaite à toutes et à tous un colloque fructueux, éclairé par la richesse des échanges et la passion commune qui anime chacun d’entre nous.
______________________________
Synthèse des travaux scientifiques du Colloque
- Par Professeur Fallou MBOW
Au tour du thème, « De la grammaire normative à la description des langues : entre perspectives didactiques et recherche scientifique », du 24 au 26 avril 2025 à la FLSH de l’UCAD, a été organisé un important Colloque en Hommage au Professeur Modou NDIAYE. Eminent linguiste, il est une des figures de proue de ce qu’il est convenu, aujourd’hui, d’appeler les sciences du langage au Sénégal et en Afrique. Ce Colloque a réuni plus d’une quinzaine de pays et d’universités d’Afrique et du monde. Les nombreuses productions scientifiques (60 communications en moyenne) et les réflexions avaient pour principal objectif, d’une part, de faire découvrir la vie et l’œuvre du Professeur NDIAYE, et de l’autre, en impliquant les enseignants chercheurs, les chercheurs et les doctorants, de mener une réflexion de haut niveau scientifique sur la linguistique moderne et contemporaine ainsi que sur les disciplines connexes et/ou d’application.
La présente synthèse abordera d’abord le deuxième moment du colloque, à savoir les communications en ateliers, avant le premier c’est-à-dire les conférences.
I. Le deuxième moment du colloque
Il a été consacré à plusieurs communications en ateliers. Il s’est agi de problématiques linguistiques et littéraires, qui ont fait l’objet de plus de cinquante communications autour de six grands axes. Elles ont été très riches d’enseignements, et ont ouvert des pistes stimulantes de recherche.
Suivant une entreprise de description interne des langues (français, langues étrangères, langues africaines), plusieurs propositions ont été faites sur des langues et des pratiques langagières de divers espaces géographiques : la langue atchan (ébrié) en Côte d’ivoire, le pël futa au Sénégal, les études de formules particulières et des spécificités du français et de la morphosyntaxe du français, kriol ou créole guinéen, la langue bantou, les pratiques langagières urbaines, les pratiques langagières scolaires comme au Burkina Faso.
A travers beaucoup de ces communications, le colloque nous invite à réfléchir sur les notions de langue, de langue d’enseignement et didactique, de langue d’alphabétisation et de langue de scolarisation. En effet, beaucoup confondent alphabétisation et scolarisation notamment au Sénégal. Ce sont autant de problématiques auxquelles le colloque a apporté des éclaircissements.
Une autre entrée a été celle de la composante étude du vocabulaire, de la terminologie et de la traduction avec une prise en compte du sens, qu’il soit d’ordre sémantique ou sémiologique.
Le colloque a permis de réfléchir sur le développement lexical et la formation des mots en langues locales, notamment le wolof, car jusque-là, les recherches ont porté essentiellement sur le français. C’est à juste raison selon le constat général, car la mise à l’échelle des langues nationales à l’école appelle un dépassement de la recherche axée exclusivement sur la codification. Il nous faut aller plus avant dans l’étude de la langue. En effet, il ne suffit pas d’être locuteur d’une langue pour pouvoir la maitriser ou l’enseigner.
La didactique et la sociolinguistique ont été largement mises à contribution par les communications en ateliers, tant dans leurs apports disciplinaires spécifiques que dans leurs diverses relations au bénéfice de l’enseignement des langues.
Au-delà de la langue clairement irréductible à son intériorité (immanence structurale), mais aussi à ses instances sociales et psychologiques (contexte socioculturel d’émergence et sujet parlant), la réflexion a aussi porté sur la relation entre le cotexte ou l’intralinguistique et l’extralinguistique que développe l’Analyse du discours. Les communications ont pointé également des problématiques liées à la subjectivité (le sujet parlant en tant que centre déictique) à travers les déictiques, mais aussi le caractère potentiellement menaçant de tout échange, en raison de la production continuelle des actes de langage, notamment dans la diplomatie, mais aussi le pouvoir des mots, qu’il s’agisse de désinformation, d’influence par un projet ou par des slogans.
La réflexion en ateliers a également porté sur l’analyse d’œuvres littéraires (Camus, Senghor, Aissatou DIOUF, le roman gabonais, etc.) et de productions de la littérature orale mouride notamment. Les contributeurs ont fait recours à la stylistique, aux outils de l’Analyse du discours, à la critique classique, celle de la narratologie avec Gérard Genette par exemple, pour analyser l’hybridation linguistique et la place de la culture africaine.
II. Le premier moment des communications, un moment clé
Il a porté sur les conférences qui ont répondu aux attentes en apportant de la véritable plus-value à la réflexion. Elles ont confirmé l’idée que la qualité d’un colloque, en plus des communications proposées, se mesure surtout à travers ses conférences qui sont parfois de véritables leçons inaugurales soumises à l’épreuve de la grande plénière. Ces conférences ont la particularité de porter sur des idées souvent d’ordre épistémologique ou méthodologique soumises à la validation des chercheurs participants.
De la conférence de Bruno MAURER (Université de Montpellier 3) à celle de Florence VILLOING (Université de Paris Nanterre) en passant par celle de Mathias IRIE BI ( Université de Bouaké) et enfin, celle de Philippe BLANCHET (Université de Rennes 2), au total, quatre riches conférences ont été présentées ; elles ont ensuite été discutées en plénière. Ces quatre conférences auront permis d’arriver à des idées novatrices et prometteuses dans le domaine de la description des langues, mais également dans celui de leur didactisation et de leur appropriation par divers procédés par les locuteurs, même quand ces langues sont sous le joug des conflits de positionnement inhérents à leur coexistence dans la même sphère sociale.
Un des aspects abordés par les conférenciers a été la question de la composition morphosyntaxique. A ce propos, on a eu droit à une analyse fine dans son évolution depuis plusieurs années. On a exemplifié l’étude diachronique des lexèmes à partir des n-grams de Google. En fait, le colloque a exploré la problématique de certains mots composés comme station de traitement, qui sont analysés comme des construits morphosyntaxiques, une approche que valide La conférencière, Prof Florence VILLOING tout en dégageant des contraintes. Ainsi, le colloque met en perspective un analyse quantitative et qualitative d’ordre lexématique et non plus seulement morphématique comme dans l’approche classique. Cela permettrait de réfléchir sur la diachronie des mots composés, et de retracer ainsi l’émergence des modèles de composition sur lesquels on n’avait aucune idée jusqu’à présent.
Par ailleurs, le Colloque propose d’admettre sinon l’impossibilité du moins la très grande difficulté à comparer toutes les langues dans leur diversité, surtout des langues d’espaces géographiques différents et éloignés comme le français et le wolof. Malgré tout, l’on constate qu’il y a un commun entre les langues, un commun que partage toutes les langues. Et c’est précisément ce commun qui permet de rendre les langues enseignables, selon le colloque, en y concevant deux grammaires : une première, l’essentiel de la grammaire française en tant que telle, et une deuxième, la grammaire du « vivre ensemble ». En d’autres termes, il faut une grammaire de la langue doublée d’une grammaire de la langue en usage dans la société. Cette dernière serait résolument une grammaire de l’interlocution celle qui décrirait le « vivre ensemble ». Le résultat d’un tel travail serait d’arriver à mettre en place une matrice d’une grammaire mondiale des langues.
A travers le Colloque, il est apparu que les langues ne coexistent pas sans des conflits. Mais bonne nouvelle, ce caractère naturellement conflictuel peut être dépassé à partir de la stratégie de la prototypisation linguistique et de la proximisation linguistique qui sont toutes deux des procédés d’appropriation des langues par les locuteurs. En effet, les langues s’influencent ainsi mutuellement à deux ou à plusieurs (français-wolof, par exemple).
Dans un contexte d’introduction des langues à l’école comme au Sénégal, et dans le cadre d’une politique linguistique voire d’aménagement linguistique, il importe de tirer vers le haut ou vers le centre du champ des langues, certaines langues considérées comme minoritaires ou périphériques, et de surcroit, qui peuvent être des langues à grandes variétés. Comme solution, le colloque propose l’approche polynomique consistant à abandonner le modèle de la langue dominante pour didactiser toutes les variétés de chaque langue. La variation est à didactiser pour chaque langue. Il s’agira de chercher à passer d’une norme prescriptive à une didactisation de la variation. C’est, là, une invite à l’émancipation des langues relativement à toute domination, serait-elle coloniale.
La conférence est arrivée à la conclusion qu’une langue existe parce que la communauté qui s’en sert en décide ainsi. A été ainsi introduit le principe de l’ « interacceptation des variétés linguistiques ».
A travers ses deux grands moments, le colloque s’est basé globalement sur les exemples de plusieurs langues comme le provençal, le français, le wolof, le créole, le bantou, etc., qui ont été utilisées comme corpus d’étude, mais cela va s’en dire, la vérité scientifique, suite à la recherche et à la confrontation en plénière rend les résultats généralisables à toutes les langues.
Au regard des résultats du Colloque, on peut dire que les questions qu’on se pose dans la politique linguistique au Sénégal trouvent, pour l’essentiel, beaucoup de réponses dans les échanges. En effet, le colloque indique en creux des pistes d’actions à entreprendre par l’Etat sur la langue locale quelle qu’elle soit, tant pour sa codification, sa description dans sa double orientation purement intralinguistique et celle du « vivre ensemble » donc celle de ses usages pragmatiques, etc., que pour sa promotion scolaire. Car chaque langue doit avoir une vocation scolaire et en a le droit selon une des idées phares du Colloque.
Pour conclure
Force est de constater que le Colloque a bien répondu aux attentes. Il a permis d’explorer des axes pertinents, stimulants et prometteurs pour relever les défis actuels qui sont ceux de la recherche linguistique en général, africaine en particulier dans le champ des sciences du langage. Ces défis sont liés à la baisse du niveau en français, une baisse de plus en plus prononcée, la généralisation de l’apprentissage des et en langues nationales à l’école. Le colloque est propice au contexte de refondation des curricula pour leur meilleure adaptation aux réalités socio-culturelles.
Au-delà des simples langues étudiées au crible d’approches résolument novatrices (la didactisation selon la variation, Prototypisation et proximisation, l’approche polynomique, etc.), le colloque est symptomatique de la volonté des contributeurs à mener des recherches endogènes et situées, capables de promouvoir chaque langue locale qu’elle soit dominante ou minoritaire.
Le Colloque a permis de dégager des pistes intéressantes de recherche scientifique, et a mis en exergue les enjeux didactiques, institutionnels et/ou politiques à prendre en compte lorsque qu’une langue donnée doit être dotée de la vocation scolaire. Cela engendre une investigation contrastive, lexicologique, sociolinguistique, morphosyntaxique, voire morpho-lexématique, etc., pour les langues dans toute leur diversité.
Et finalement, le Colloque a révélé la nécessité d’une complémentarité disciplinaire entre une linguistique de la langue (descriptive), une linguistique de la parole (sociolinguistique et une linguistique du discours (analyse du discours) prenant en compte les instances sociales et psychologiques à partir desquelles la langue s’actualise en interaction verbale ou, autrement dit, en « vivre ensemble ».
Le dernier mot : l’héritage de Professeur Modou NDIAYE est ainsi bien mis au point ; il est positionné et enrichi en vue d’autres recherches axées sur de nouvelles problématiques selon l’air du temps auquel s’arrime la science linguistique contemporaine.
Fait à Dakar, le 26 avril 2025
Professeur titulaire de Sciences du langage
FASTEF/UCAD