AMICALE DES ANCIENS DE L'ECOLE NORMALE WILLIAM PONTY

Juif d’ethnie berbère originaire d’Algérie par son père, et français d'adoption relativement récente, Éric Zemmour est de ces assimilés qui, comme au temps de la colonisation, en sont arrivés à un point d’acculturation tel qu'ils renient les leurs et dénigrent tous ceux qui leur ressemblent ou sont proches. Zemmour est ainsi devenu l’apologiste d'une certaine idée de la France, d'une France blanche et judéo-chrétienne, d’une France ou l'autre n'est toléré que s'il laisse dehors son histoire, sa culture, ses coutumes et surtout sa religion. Dans cet esprit,  pour être accepté, il doit se désincarner pour ressembler au Français de souche (existe-t-il vraiment ?), voire lui être assimilable et de la pire manière,  à  l’image de Zemmour dans son rôle ubuesque de «tirailleur» de la plume et du verbe contre les nègres, les arabes et les musulmans d'aujourd'hui et d'hier.

Farouche ennemi de l’universalisme, il ne voit de liens entre les hommes que suivant la race, la culture et la religion ; il ne perçoit l’altérité que sous le registre de la peur. Pour lui, entre les Français qu’il reconnait comme tels et les autres, et entre la France et les nations différentes, les rapports ne peuvent être que de domination, d’assimilation ou d’exclusion, mais jamais de reconnaissance, d’échange et de solidarité. 

C'est ainsi qu'il s'en est tout dernièrement pris à Elhadj Omar Tall. Pour lui, en restituant au Sénégal, le sabre «de fabrication  française »  qui a appartenu à cette grande figure de notre histoire commune, «l’Etat français flatte le nationalisme sénégalais, des sentiments qui ne sont pas favorables à la France,  humilie les Maliens qui avait été colonisés par un chef de guerre islamiste ». 

Certes, ce sabre, comme il le dit, avait été fabriqué vers 1820 en Alsace. Mais cette région n'était alors plus française, à cette époque. En effet, après la catastrophique campagne de Russie de Napoléon, elle était sous occupation autrichienne  et saxonne. Ensuite, une arme (et n'importe quel produit industriel) cesse d'être le patrimoine de son fabricant ou pays d’origine, dès l'instant où elle en sort pour d'autres mains utilisatrices, par quelque moyen que ce soit. 

Prenons pour l'exemple  l’armée française. Elle a, depuis quelques années,  adopté le fusil d'assaut allemand HK 416, le préférant  au Famas made in France,  pour équiper les militaires  qui interviennent à l'étranger et ceux qui assurent la sécurité intérieure. Les Allemands réclament-ils HK 416, tel un patrimoine ? Que non ! Que dire alors d'un sabre qui n'est véritablement pas français et qui a joué un rôle réellement historique sur le sol ouest africain ? Qu'il appartient bien à celui dont il était l'arme de commandement, et que le restituer à ses descendants n'est que leur rendre justice !

Elhadj Omar « un chef de guerre symbole de la guerre contre les infidèles chrétiens » ? Pas tout à fait ! Il ne s'opposait point aux Français parce qu'ils étaient  a priori chrétiens. Il les a combattus parce qu'ils étaient venus pour conquérir par les armes, coloniser et exploiter un espace qui n'était point leur et que lui avait la haute mission de défendre et de protéger contre tout ennemi extérieur, quelle que fût sa religion.  

Si comme le dit Zemmour, le sabre d'Elhadj Omar est la preuve que «les armes européennes servaient déjà aux chefs de guerre africains contre la France […] en pleine période islamiste. », on le confond aisément en lui rétorquant que ceux qui vendaient les armes retournées contre  l'agresseur et colonisateur français étaient bien français. Ensuite, ceux qu'il appelle « chefs de guerre africains », dans le sens de «seigneurs de guerre » n'en étaient point. Un seigneur de guerre est, par définition, un chef militaire qui profite d'une période d'instabilité socio-politique dans son pays pour se soulever contre les autorités légales afin d'accaparer le pouvoir politique sur tout ou partie du territoire.

Avant l'arrivée des Français en Afrique de l'Ouest, il n'y avait pas d'instabilité sociopolitique particulière. Les Français n’incarnaient aucune autorité légale sur la région. Ce sont plutôt eux qui voulaient abattre les autorités légales  qui y existaient pour s'accaparer et mettre sous domination les territoires sous leur responsabilité, avec le fallacieux prétexte d'une mission  d'évangélisation et de civilisation. Sous ce rapport, la réaction armée d’Elhadj Omar était parfaitement légitime contre l'odieux fait colonial.

Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que Emmanuel Macron l'a fort justement qualifiée de «crime contre l'humanité », de « vraie barbarie » en 2017 à  Alger et de « faute de la République » en 2019 à Abidjan.  C'est cela que voulait nous faire éviter Elhadj Omar : les massacres, l'asservissement, la spoliation, le travail forcé, l'exploitation, l'injustice, l'iniquité, les brimades, les vexations qui furent hélas le lot quotidien de tous les Africains sous la colonisation française. Zemmour lui développe une autre vision de la colonisation, allant jusqu'à nier ces exactions et crimes.

Nourrissant un profond sentiment de culpabilité envers les Juifs dont elle a participé à l’humiliation et au massacre tout au long de histoire, jusqu'aux pogroms, rafles, déportations et à la solution finale  sous la férule nazie, la France a fini par se doter des lois sévères contre le Négationnisme et l’Antisémitisme. Elle devrait en faire autant, relativement au «Négationnisme colonial », à  l'encontre des gens qui, avec Zemmour et ses amis de  la Droite et de l'Extrême droite, ne tarissent cyniquement pas sur les bienfaits de la colonisation, alors qu'il est indéniable qu'elle fut  un abominable «crime contre l'humanité ».

«Quand vous remettez ce sabre vous flattez le nationalisme sénégalais mais vous humiliez les Maliens qui avait été colonisés par un chef de guerre islamiste, un colonisateur qui conquit tout le Mali depuis le Sénégal pour constituer un empire ! » nous dit encore Éric Zemmour ! 

Il est très mal placé pour s'indigner du nationalisme sénégalais que le retour définitif de ce sabre flatterait. Le nationalisme dont il est le défenseur en France, avec d’autres extrémistes de la droite abjecte, est le pire. Il est exclusif à l'encontre des Noirs, Arabes et Musulmans qu'ils soient français ou étrangers ; il stigmatise, ostracise, oppresse et pousse par réaction au terrorisme et, qui sait, à la guerre civile.

Le nationalisme exclusif n'a de sens positif qu'au sein de nations opprimées et en lutte contre les invasions, la colonisation, pour la libération et la souveraineté. C'était cela qui fondait le combat d'Elhadj Omar contre la France, et qui fait que la restitution de ce sabre symbole de sa lutte pour l'émancipation et la dignité puisse effectivement flatter, légitiment, le nationalisme des Sénégalais. Et des Maliens aussi !

Féru d'histoire qui se documente sur tout sujet avant de faire ses sorties nauséeuses et haineuses, Zemmour fait semblant de ne pas savoir que le Sénégal et Mali qu'il cherche à opposer avaient, bien avant l'épopée d'Elhadj Omar, constitué l'Empire mandingue, avec la Gambie, les deux Guinées et des parties du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire et de Mauritanie. Et si Elhadj Omar a œuvré à la renaissance de ce grand ensemble autour du Sénégal et du Mali, et pas pour sa colonisation, c'était certes pour le rayonnement de l'islam, mais également et surtout pour fédérer le maximum d'énergies et de forces contre la France colonialiste, non sans difficultés. 

L'entreprise n'a pas abouti. Mais, il n'en demeure pas moins que le Sénégal et le Mali, où la famille omarienne est partout chez elle, sont d’égale fierté nationale envers Elhadj Omar et sa geste. Ils ne voient en la restitution de son sabre rien d'autre qu'un  début de réparation symbolique d'un outrage historique.

N'en déplaise à Zemmour qui a tout faux !