Délivrance d’un amour impossible - Par Amadou FALL *
Dans sa Renault Clio blanche conduite à vive allure, comme si elle était poursuivie par le diable, Samantha Junot avait quitté Millau ce lundi, vers midi, sous un radieux soleil. L’on était début mai. L’Aveyron n’avait pas, cette année, trop souffert des rigueurs de l’hiver qui avait été plutôt rude plus au nord.
Le printemps revenait, avec force et splendeur, dans et tout autour de la vallée du Tarn. L’on devinait la sève gronder au plus profond des arbres et remonter à leur frondaisons qui reverdissaient en se parant de nouvelles feuilles, tandis que les arbustes et les plantes sauvages partout refleurissaient. Les senteurs de la nature renaissante embaumaient les monts, vaux et prés de cet univers au relief tourmenté et aux charmes bucoliques féeriques et éblouissants, dans la douceur ensoleillée de la mi-journée.
Samantha était aveugle et sourde aux merveilleuses fureurs de cette nature ravivée et impétueuse. Une vingtaine de minutes plus tôt, elle avait quitté la rue Ferrer. Elle avait rapidement slalomé dans Millau, enfilé la longue avenue Jean Jaurès, la rue Alfred Guilbert et l’avenue Charles de Gaulle. Elle avait ensuite pris, au sortir de la ville, la direction nord-ouest par l’autoroute A75 pour se retrouver là, toute seule sur le viaduc.
A cette heure de la journée le trafic était de faible intensité, sur ce majestueux pont à haubans jeté sur la vallée du Tarn, entre la Causse rouge et la Causse du Larzac sur quelque six kilomètres. Le péage franchi, Samantha était repartie en trombe, pour se ranger, quelque deux kilomètres plus loin, sur la bande d’arrêt d’urgence. Elle sortit lentement de son véhicule qu’elle contourna pour s’approcher de la rambarde de l’ouvrage.
Samantha avait les cheveux en bataille et sa petite robe à fleurs collée à son corps de rêve, sous l’effet du vent qui soufflait plus fortement à cette altitude que dans vallée encaissée, quelque quatre cent mètres plus bas. Là, non loin de Millau engoncé dans sa paisible douceur de vivre, elle avait une vue panoramique sur un paysage grandiose, dans l’écrin naturel des Grands Causses, ces étonnants hauts plateaux calcaires, avec leurs incroyables pistes et corniches aériennes et leurs falaises à vous couper le souffle.
La jeune fille avait la tête ailleurs. Le regard lointain et embué de larmes, elle ne voyait ni n’entendait plus rien. Elle était toute à l’intérieur d’elle-même, dans sa tête qui faisait défiler à grande vitesse le film de sa vie à peine vieille de vingt-cinq années.
* * *
Samantha se revoyait vingt années plus tôt, là-bas, dans le Millau de son enfance et de son adolescence qu’elle avait quitté à la hâte, une demi-heure auparavant.
Elle venait d’avoir cinq ans. Fière dans sa toute première blouse d’écolière, sa menotte accrochée à la main de sa mère, Marie-France Le Marchand, elle allait à la découverte de l’inconnu, le cours élémentaire Beauregard sur l’Avenue Verdun. L’école n’était distante de la rue Ferrer où l’enfant et sa maman habitait, que de huit cents mètres, en passant par les trottoirs plantés de platanes ombrageux de l’avenue Jean Jaurès et du boulevard de l’Ayrolle, puis en coupant par les rues Saint-Jean et Jean Moulin. Le matin de sa première rentrée des classes, ce trajet hors du cocon familial, à la découverte de cet autre univers, lui parut interminable.
Comme quand elle accompagnait sa maman faire ses courses ou aller chez le coiffeur ou chez le teinturier, la petite attirait les regards et suscitait des commentaires, des plus discrets aux plus appuyés. Marie-France rougissait ou pâlissait en les entendant. Mais elle ne répondait jamais, préférant poursuivre son chemin, la tête haute, le visage éclairé par un sourire de défiance.
A cet âge-là, Samantha ne comprenait rien de ce qui se susurrait ou se disait à haute voix à son passage avec sa maman dans les rues de Millau. La fillette était belle et adorable comme pouvait l’être une enfant resplendissante de bonne santé et heureuse de vivre. Elle avait longtemps pensé que c’était pour cela que les gens rencontrés la dévisageaient impudiquement ou la regardaient à la dérobée et parlaient d’elle, forçant le sourire de sa maman.
L’innocente Samantha était certes une enfant comme toute autre. Mais de méchants et haineux regards ne voyaient en elle que le fruit de «relations honteuses» entre Marie-France et un nègre d’Afrique. Elle était métissée, «une petite négresse, une souillure sur la race blanche», pour certains Millavoises et Millavois trop longtemps restés hermétiques à l’évolution du monde, derrière les Grands causses qui leur bouchaient l’horizon. Cela faisait mal à Marie-France, au plus profond d’elle, quand bien même elle n’en laissait jamais rien paraître, pour que sa fille n’entrât pas dans la vie avec le traumatisme du rejet social bêtement raciste.
Samantha était la seule personne de couleur de tout le Cours Beauregard. Durant les premières années qu’elle y passa, ses rapports avec ses camarades de classe baignaient dans l’inconscience et l’innocence propres à leur âge, jusqu’à ce de grandes personnes, des papas et des mamans, ne vinrent les polluer. Des enfants répétant ce qui se disaient à la maison, autour de la table, se mirent à l’accabler. Elle fut, maintes fois, victimes de propos et d’actes racistes de la part de petits garçons et filles odieusement instrumentalisés par leurs parents.
Elle se rappelait ce matin où elle refusa de retourner à l’école. Elle était au cours moyen deuxième année. C’était un mercredi, au soir du dernier jour de vacances de pâques agréablement passées aves Marie-France, chez une amie à elle, sur la Côte d’Azur.
- Je n’irai plus à l’école, maman ; on m’y fait trop mal, avait-elle hurlé, en voyant Marie-France préparer ses affaires pour le lendemain.
Interloquée, elle resta un instant sans voix. Puis, tendrement, elle prit la petite fille dans ses bras. En sanglots, elle déchira par bribes le voile du calvaire qu’elle vivait si douloureusement, de jour en jour, sous le préau du Cours Beauregard. Elle en avait gros sur le cœur. Libérée du secret de ses malheurs, la petite fille apaisée, et réconfortée par sa maman, avait fini par s’endormir sur son sein.
Sans prendre rendez-vous, Marie-France s’était dès le lendemain matin présentée devant Madame Renée Girard, la directrice du cours Beauregard. Elle se plaignit vigoureusement des honteuses vexations et maltraitances dont Samantha était victime à l’intérieur même de l’établissement, s’offusquant qu’elle et les maîtres d’école étaient sans réaction face aux agissements et comportements racistes à son encontre. Elle lui fit remarquer, sans détour, que leur passivité n’était ni plus ni moins qu’une forme de complicité mesquine avec les parents des élèves qui stigmatisaient sa fille et qu’elle connaissait tous. Elle menaça de s’en ouvrir à la presse et de porter l’affaire devant la justice, si elle ne faisait rien pour que cette «ignominie» cessât.
Madame Girard jura par tous les saints qu’elle n’était au courant de rien. Qu’elle allait convoquer un conseil de crise pour tirer la situation au clair et prendre les mesures qui s’imposeraient.
La rencontre s’était tenue le surlendemain, après les cours de l’après-midi. Les parents d’élèves incriminés avaient été vertement tancés et rappelés à l’ordre républicain qui était «Liberté, Égalité et Fraternité», pour et entre tous les citoyens, sans considération, d’origine, de couleur ou de religion. Elle exigea qu’ils présentassent des excuses à Madame Marie-France Le Marchand, menaçant d’exclure leurs enfants de l’établissement s’ils ne s’exécutaient pas séance tenante et si leurs «chères têtes blondes» n’adoptaient pas «un comportement plus civilisé» à l’égard de Mademoiselle Samantha Junot.
Samantha termina sa dernière année scolaire à Beauregard sans plus être inquiétée. Grâce à sa mère elle avait remporté une première et grande bataille, celle du respect de sa différence qu’on venait de lui révéler brutalement. Elle comprit également qu’il lui faudra, toute sa vie durant, continuer ce combat pour la dignité, en restant plus que jamais fière de ses origines plurielles, de sa double appartenance ethnique et raciale, de ce métissage biologique et culturel dont un éminent Africain disait, à raison, qu’il est le fondement de la civilisation de l’universel.
* * *
La circulation était toujours fluide sur le viaduc de Millau. Arrivé à la hauteur de la Clio de Samantha, un automobiliste qui l’avait reconnue, ralentit et manœuvra rapidement pour se garer devant elle. C’était Jean Christophe Ducet.
- Salut Sam’, t’as un problème mécanique, au beau milieu du pont ? Tu veux que je t’appelle une dépanneuse ? Installe-toi donc dans le véhicule. C’est peut-être le printemps, mais tu risques d’attraper la crève sous ce foutu vent !
Jean Christophe sortit Samantha de ses pensées lointaines. Elle se retourna et sourit largement en le reconnaissant. Elle lui répondit qu’elle n’avait en fait pas de problème avec sa bagnole. Qu’elle s’était arrêté juste un instant pour contempler le paysage. L’homme reconnut qu’effectivement il était fascinant, de ce point d’observation, mais qu’il ne fallait peut-être pas rester longtemps là.
Samantha et Jean Christophe étaient amis depuis le lycée Jeanne d’Arc de Millau qu’ils avaient intégré la même année. Il était toujours amoureux de cette splendide fille à la peau couleur caramel. Mais, au bahut, elle avait plus cœur au travail qu’aux amours, d’autant que Marie-France, professeur de mathématiques dans l’établissement, ne lui en laissait aucunement la liberté.
- Passe ton baccalauréat, et seulement après tu seras libre de faire les meilleurs choix pour toi, lui avait-elle dit.
Samantha avait suivi les conseils de sa mère, comme à son habitude. Elle avait fait ses humanités sans à-coup, sans redoubler de classe, jusqu’au baccalauréat qu’elle obtint haut la main. Personne ne lui avait plus fait de mouron en raison de sa différence. Au contraire. Les jeunes lycéens, plus ouverts que leurs parents sur le monde et prompts à accepter l’autre étaient plutôt sous son charme, pas seulement pour sa beauté ensoleillée, mais également pour son intelligence et une joie de vivre communicative qui faisait que sa compagnie était des plus recherchées.
C’était pour tout cela que, même si son amour pour Samantha n’avait pas eu le répondant désiré, Jean-Christophe n’en avait pas moins continué à entretenir avec elle une sincère et solide amitié.
En vérité, un seul homme avait jusque-là compté dans la vie de la jeune fille : le père qu’il ne connaissait pas.
Depuis les fâcheux événements du Cours Beauregard qui avaient commencé à lui ouvrir l’esprit et le cœur sur les «bizarreries» du monde des adultes, elle n’avait eu de cesse d’interroger Marie-France sur l’auteur de ses jours. C’était d’ailleurs leur seul point de friction, le seul qui rendait la fille boudeuse et quelques fois hystérique, quand ses questions, toujours plus insistantes, ne trouvaient pas de réponses auprès de la maman.
A ses dix-huit ans, la considérant en âge de comprendre, de la comprendre, Marie-France lui confia la vérité, à tout le moins une part de sa vérité, sur qui était son père et sur ce qu’il en avait été de leur relations.
- Samantha ma très chère, comme tu ne l’ignores point, ton père est noir et africain. Nous nous sommes connus, il y a vingt ans, là-bas au Muntuland, un pays sur la côte atlantique du continent africain. J’y avais été affectée, dans le cadre de la Coopération entre la France et cette ancienne colonie. J’avais choisi de m’y exiler, un an après la disparition brutale de mon mari, Julien Le Marchand, dont j’ai continué de porter le nom. Je donnais mes enseignements au lycée de Ramato, la deuxième ville du pays, pas loin de Makobar la capitale. C’est là que j’ai connu ton père. Nous nous sommes passionnément aimés. Tu es un enfant de l’amour, d’un amour absolu. Pour de graves raisons que tu sauras sans doute un jour, je ne puis te dire son nom. Mais je t’en prie, Samantha, continue d’être fier du nom que tu portes, ce nom qui est le mien, le tien et celui de ma famille.
- Maman, je remuerai ciel et terre pour retrouver mon papa. Je ferai tout pour le connaître et le ramener dans ma vie, notre vie. J’en ai besoin. C’est plus fort que moi.
- Je te comprends ma fille. Mais ... peut-être qu’il n’est plus de ce monde. Depuis que j’ai quitté le Muntuland, je n’ai plus eu de ses nouvelles.
- A la première occasion qui s’offrira à moi, j’irai au Muntuland pour le chercher et le retrouver, maman !
S’accrochant au fil de cet espoir ténu de rencontrer un jour son père, Samantha mit encore plus d’ardeur dans la poursuite de ses études, à l’Institut des sciences de l’entreprise et du management de Montpellier, sur la rue Brumaire. Elle avait hâte de les terminer, pour entrer dans la vie active et trouver l’opportunité et les moyens de se rendre en Afrique, sur la terre de ses ancêtres.
Et ses vœux furent exaucés...
* * *
Sitôt sa maîtrise en Gestion des entreprises décrochée, Samantha avait été embauchée par RAZAC GLOBAL, par l’entremise de sa Direction Régions Sud dont le siège était à Montpellier. RAZAC GLOBAL était une entreprise de grands travaux. Ses ramifications plongeaient jusqu’au cœur de l’Afrique. Ses filiales s’y activaient dans la construction de routes, de barrages, et dans le génie civil industriel et minier.
Mise à la disposition du département Gestion et développement de l’entreprise, la jeune fille avait été confirmée, trois mois après, au terme d’un stage des plus probants. Ce fut, pour elle, un merveilleux cadeau de fin d’année. L’on était en fin décembre. Elle venait d’avoir vingt-quatre ans.
L’année d’après, à la même date, jour pour jour, et sans qu’elle n’eût à en former la demande, elle avait été choisie pour deux années d’immersion dans les conditions spécifiques du management d’entreprise hors de la sphère hexagonale, en Afrique précisément. La filiale muntulandaise de RAZAC GLOBAL lui avait été choisie comme point de chute, pour cette première expérience hors de France. Elle n’espérait pas mieux.
Marie-France avait mis à profit ses vacances d’hiver pour descendre à Montpellier, et passer avec Samantha les derniers jours d’avant son départ pour l’Afrique. Elle ne fut point surprise que son appartement fût aussi bien meublé et entretenu que leur maison de Millau. Simple, mais propre, coquet, douillet et respirant les plaisirs sans artifice de la vie, il était. La fille ressemblait, en presque tout, à la mère.
Quand l’heure de se quitter arriva, la séparation fut déchirante. C’était la première fois, depuis vingt-cinq ans, que la mère et la fille allaient rester des mois et des mois sans se voir. Jusque-là, tout le temps que Samantha étudiait et travaillait à Montpellier, elle était au moins une semaine sur deux, chez elle à Millau. Là, elles allaient devoir rester deux longues années loin l’une de l’autre.
Toutes deux en larmes, elles s’étaient dit adieu, dans le hall d’enregistrement de l’Aéroport Montpellier-Méditerranée. Le cœur gros, Marie-France était restée de longues minutes debout, derrière l’ultime baie vitrée dont les ouvertures donnaient accès à la zone d’embarquement. Elle regardait Samantha s’éloigner. Elle sentit son regard sur son dos. Elle se retourna pour lui faire un dernier geste d’au revoir, mimant de la main un baiser appuyé. Le sourire qui l’accompagnait n’effaça pas la grande tristesse qui se lisait sur son visage. Marie-France quitta l’aérogare, dans le même état, pour repartir directement sur Millau. L’on était un vendredi soir. L’atmosphère ambiante lui paraissait plus brumeuse et maussade que d’ordinaire.
Après une heure d’escale à Paris-Orly, Samantha avait pris la correspondance pour le Muntuland. Elle n’avait pas fermé l’œil de toute la nuit. Ses pensées diffuses étaient, durant tout le voyage, partagées entre les conseils de prudence et de bonne tenue en terre africaine que lui avait prodigués Marie-France, son impatience de découvrir cette autre partie de son être et de son âme, l’inévitable angoisse qui habite toute personne allant vers l’inconnu, et sa volonté de bien accomplir la mission qui lui était dévolue, quoi qu’il pût advenir.
* * *
En cette fin de matinée, sur le pont de Millau ouvert à tous les vents, la chaude morsure d’un soleil printanier dont l’éclat gagnait en intensité dans le ciel raviva ses souvenirs d’Afrique. Gravés à vie dans sa mémoire, ils lui revenaient à l’instant. Tels qu’elles les avaient vécus, les moments auxquels ces souvenirs renvoyaient étaient tout simplement merveilleux, jusqu’aux bouleversements qui intervinrent plus tard dans sa jeune vie, et qu’il était sombrement en train de ruminer, au-dessus de la vallée du Tarn...
Samantha était arrivée à l’aéroport international Patrice Lumumba de Makobar à l’aube, une aube fraîche et lumineuse qui contrastait avec le temps glacial et gris qu’elle avait quitté, six heures plus tôt. Ce qui l’avait frappée lors de ce premier contact avec l’Afrique, c’était ces visages d’un naturel souriant qui lui disaient bonjour et lui souhaitaient la bienvenue, sans la connaître.
Après la récupération de ses bagages et les formalités de police et de douane, Samantha fit mouvement vers la sortie de l’aérogare. Elle distingua, à l’écart d’une foule bigarrée d’accueillants fortement présents dans le hall des arrivées, un gaillard en livrée bleue, casquette assortie sur la tête. Elle s’en approcha rapidement, en réponse à l’appel de la pancarte qu’il tenait à bout de bras. Son nom y était inscrit en gros caractères. L’homme se décoiffa et engagea la conversion, sur un ton enjoué.
- Mademoiselle Junot, n’est-ce pas ? Bonne arrivée ! J’espère que vous avez fait un excellent voyage. Je m’appelle Mamadou Makalou. Je suis le chauffeur de RAZAC MUNTULAND chargé de vous amener à votre hôtel, «Le Tamango».
- Merci bien, Monsieur Makalou. Le vol s’est très bien passé. Mais je suis un peu fatiguée. Je crois que je me mettrai au lit, dès mon arrivée à l’hôtel. Comme on est samedi...
- Vous avez parfaitement raison, Mademoiselle. Laissez-moi donc pousser votre chariot. Mon véhicule est garé tout près, dans le parking de l’aéroport. Nous n’aurons pas trop à souffrir des embouteillages. Dans au plus trente minutes, vous serez arrivée à destination. Et vous pourrez bien vous reposer.
Ses valises parfaitement rangées dans le coffre à bagages, Samantha déclina poliment l’invite révérencieuse que lui fit Mamadou Makalou de prendre place sur le siège arrière du véhicule, une luxueuse BMW de couleur noire. Elle s’assit devant, à côté de lui, ainsi qu’elle en avait l’habitude avec Marie-France, chez elle en France, A dire vrai, en son for intérieur, elle n’entendait point se laisser traiter en VIP étrangère, snobe et se comportant comme en territoire conquis, ici sur la terre de ses aïeux. Elle avait spontanément réagi de la sorte.
Sur le siège avant du véhicule qui faisait cap sur la Haute ville, Samantha tomba sous le charme des superbes villas et rutilants immeubles qui encadraient la grande voie de desserte aéroportuaire, et également la corniche méridionale, bouchant, à de nombreux endroits, la vue sur la mer. La jeune fille fraîchement débarquée voyait là des signes patents de développement, d’émergence économique et sociale. Il y avait, sans aucun doute, une part de vérité dans cette appréciation de prime abord.
Ce que Samantha n’était évidemment pas censée savoir était que ces réalisations, signes apparents d’enrichissement, n’étaient pas toujours les fruits d’œuvres licites. Elles résultaient, en bon nombre, ici comme ailleurs sous d’autres cieux tropicaux, de rapines de deniers publics, de trafics et de crimes économiques dont le blanchiment d’argent sale.
La jeune Française qui sortait pour la première fois de sa bulle aseptisée, était à mille lieues de ces considérations. Quoi que la prévarication et la corruption font partie des tares éternelles du système capitaliste au service duquel elle s’était mise.
Sous le soleil qui commençait à chauffer un tantinet, Samantha avait plutôt plaisir à contempler la Rivera, cette longue plage sablonneuse au sable fin planté de cocotiers qui s’étendait en contre-bas de la corniche, aux endroits où le domaine public maritime n’avait pas été impunément colonisé par les plus que nantis de la haute société muntulandaise, au fil des régimes qui se sont succédé au pouvoir.
A l’approche de la Haute ville, Samantha tomba en admiration devant à la grande mosquée blanche et verte. Mamadou Makalou lui fit comprendre que ces couleurs étaient symboliques de la paix à entretenir au sein de la famille islamique et avec les autres confessions religieuses, et de la permanente quête de perfection spirituelle et morale donnant tout son sens à la vie ici-bas. Elle vit dans les deux interminables minarets de la mosquée qui crevaient le ciel azur, et dans la croix penchée, tendue sur la droite de la cathédrale immaculée qu’elle découvrit, un demi-kilomètre plus loin, d’absolues prières et offrandes à Dieu. Ils lui firent penser à l’idée de rentrer dans les ordres qui lui avait traversé l’esprit, un mauvais soir de vague à l’âme.
Cette évocation lui arracha un sourire. Elle était restée croyante, mais juste ce qu’il fallait pour être en paix avec elle-même. Il ne lui déplut pas de constater, comme le lui confirmait Mamadou Makalou, que musulmans et chrétiens vivaient en parfaite harmonie au Muntuland. Qu’ensemble, ils n’avaient de souci qu’avec les djihadistes, en fait des brigands sanguinaires qui, sous le couvert de l’islam, étaient épisodiquement coupables de meurtrières exactions, au nord du pays, sur des populations musulmanes. Aussi paradoxal que cela pouvait être.
Le « Tamango» était un luxueux quatre étoiles. Makalou avait accompagné Samantha jusqu’à la réception de l’hôtel pour la présenter et la laisser accomplir les formalités d’arrivée. Il la laissa monter à sa chambre, après avoir convenu de l’heure à laquelle il viendrait la prendre le lundi pour le siège de RAZAC. Etant entendu qu’il restait à sa disposition tout le week-end, au cas où elle voudrait faire une ballade en ville.
Elle ne le dérangea pas. Elle préféra, le samedi après-midi et le dimanche matin, faire en solitaire de petites promenades dans les parages de l’hôtel. Ces premières sorties vagabondes l’avaient menée sur le Boulevard Marengo longeant le port et la gare internationale, sur la place des Grands Hommes, cœur palpitant de la Haute ville, aux marchés indigène et européen qui ne faisaient jamais relâche, et sur la place Chéraza autour de laquelle les avenues descendant du Palais présidentiel, bordant le Parlement et le Musée colonial rencontraient la longue corniche montant de la Rivera.
Samantha ne s’était aucunement sentie dépaysée dans la Haute ville de Makobar à travers laquelle elle avait fait ses premiers pas en Afrique. Elle lui donnait même une sensation de déjà-vu et de déjà-vécu, avec ses vieilles bâtisses blanches et ocre qui défiaient le temps, ses avenues et rues taillées au cordeau, ses monuments trônant majestueusement sur de larges places gazonnées et fleuries, ses boutiques de mode, ses cafés à terrasse et son marché à l’occidentale. Normal. Cette partie de la capitale muntulandaise lui rappelait sa ville. C’était un morceau de France, un vestige de l’époque coloniale conservé comme une précieuse relique par des nostalgiques et par ceux qui vinrent au pouvoir après eux.
* * *
Guillaume Seznec, le directeur général de RAZAC MUNTULAND, n’était pas imbue de sa puissance qui était pourtant réelle. Parti de presque rien, il s’était hissé au sommet, par la force du poignet, mais également en étant en «parfaite intelligence» avec les Etats et sous tous les régimes, durant cinq décennies de présence africaine. La SEZNEC S. A. qui était le fruit de tout cela avait atteint la cote de première entreprise muntulandaise du BTP. Guillaume Seznec, resté actionnaire majoritaire de la société, avait finalement jugé utile d’en ouvrir le capital à RAZAC GLOBAL et de prendre sa dénomination, pour rehausser ses références et faire le poids face à une concurrence chinoise rageuse.
Seznec, comme il aimait à se faire appeler par ses employés et amis, était la simplicité même. Les cheveux longs, le visage buriné mangé par un collier de barbe poivre et sel de quatre jours, le plus souvent en jeans et chemise ouverte sur la poitrine, il ressemblait à un hippy plus qu’à un patron de grande entreprise. C’est ainsi qu’il apparut à Samantha Junot, le lundi, à leur prise de contact. Et ce fut sans façon qu’il l’avait présentée à ses proches collaborateurs qu’il avait réunis autour d’une petite collation de bienvenue, dans la salle de conférence du siège.
- J’ai le plaisir d’accueillir et de vous présenter Samantha Junot. Elle nous arrive de Montpellier, de la Direction Région Sud de RAZAC GLOBAL qui nous l’envoie. Elle sera avec nous pour un stage longue durée, de deux ans, si tout se passe bien. Samantha va seconder Roberdino Mansare dans la gestion du «Portefeuille PME sous-traitantes». Ses compétences et son expérience française dans ce domaine nous seront utiles dans l’amélioration de nos relations avec les moyennes entreprises partenaires. Bienvenue à RAZAC MUNTULAND et bon séjour chez nous. Chez vous, devrais-je également dire... Car vous êtes bien chez vous, ici au Muntuland.
Guillaume Seznec avait ainsi énigmatiquement conclu son propos. Samantha n’y avait vu nulle malice, sauf peut-être une vague allusion à ses origines partiellement africaines que son teint révélait tout naturellement. Et elle paraissait en être fière, d’autant qu’elle était venue en Afrique, pas uniquement pour le travail, mais également remonter la source, sur les traces de l’auteur inconnu de ses jours.
Après les présentations individuelles, les mots gentils et autres amabilités de circonstance, la collation n’avait pas tardé à prendre fin. Les uns et les autres avaient rapidement rejoint leur bureau. L’assistante du directeur général avait guidé Samantha jusqu’à la Direction Finances et comptabilité où elle devait prendre ses quartiers. Roberdino Mansare, le chef du département était absent, pour une mission à l’intérieur du pays. Il ne devait reprendre service que la semaine d’après.
La jeune fille avait mis à profit ce temps pour s’imprégner des dossiers en cours.
* * *
Le choc s’était produit à leur première rencontre...
De retour de mission, Roberdino Mansare avait directement regagné son bureau. Il faisait partie des rares hauts cadres noirs de l’entreprise et entendait tenir son rang, sans reproche.
La quarantaine bien sonnée, le chef du département Finances et comptabilité était un bel homme. Grand de taille, la dégaine alerte et sportive, très soigné et élégant dans son port, il avait le visage tel un livre ouvert sur lequel se lisaient la sympathie et la courtoisie, mais aussi la rigueur, l’assurance et la détermination propres aux gens de qualité qui ont triomphé de bien des adversités qui jalonnent une vie.
Quand Samantha reçut sa forte poigne dans la sienne, une bien étrange sensation la parcourut de la tête aux pieds. Une douce chaleur lui laboura le corps. Elle était comme envoûtée, incapable de maîtriser, voire même, de cacher les émotions qui la submergeaient et la déstabilisaient, face à cet inconnu qui s’introduisait aussi brutalement dans sa vie, dans son être.
Le coup de foudre !
Roberdino feignit ne s’être aperçu de rien, des troubles qu’il avait semés en cette innocente enfant. Il s’empressa d’ailleurs de faire glisser la conversation sur les tâches pratiques qui allaient lui être confiées dans les dossiers en cours. Reprenant ses esprits, elle lui confia qu’on lui avait permis de les consulter en son absence, et qu’elle était dans les conditions de se mettre immédiatement au travail.
Les jours, semaines et mois qui suivirent furent laborieux. Samantha aimait travailler et s’en donnait à cœur joie. Son apport à l’entreprise était apprécié de tous. Elle reçut même, à plusieurs reprises les félicitations de Guillaume Seznec qui se fondait notamment sur les remontées de dossiers et d’appréciations que lui faisait régulièrement Roberdino Mansare.
Le mélange de bonheur et de souffrance produit en Samantha par le choc de son premier contact avec Roberdino Mansare avait, jour après jour, gagné en intensité. L’homme n’était pas resté insensible à ses charmes et à l’amour qu’elle couvait à son endroit, aussi brûlant que des charbons ardents sous la cendre. Un soir, ils cessèrent de résister aux sentiments qui les brûlaient intérieurement. Ce fut ensuite le grand amour, discret au bureau, euphorique dehors. Il était si intense et troublant que l’un et l’autre se comportaient comme si ils s’étaient connus depuis toujours, ou étaient prédestinés à être ensemble.
* * *
La présence insolite au milieu du viaduc détectée par les caméras de surveillance avait fini par être remarquée sur les écrans de contrôle. L’alerte donnée, des secours avaient été dépêchés sur les lieux. Mais ils étaient arrivés trop tard. L’équipe avait vu, de loin, une forme humaine flotter dans le vide, un temps qui semblait une éternité, puis terminer sa chute au fond de la vallée du Tarn.
C’était Samantha. Après plus d’une heure passée à ressasser intérieurement sa vie, elle était ainsi passée à l’acte. Elle avait escaladé la rambarde du viaduc et sauté dans le vide.
La nouvelle de son suicide, donnée à chaud par le correspondant local d’une agence de presse, fut reprise par divers journaux, dont L’Expansion du Muntuland. Les supputations étaient allées bon train sur les raisons qui avaient poussé une si jeune et belle personne à mettre aussi brutalement fin à ses jours.
* * *
Samantha Junot était revenue du Muntuland, la veille au soir. Au bout de six mois de présence africaine, elle avait eu des envies subites de France, malgré le grand amour qu’elle était en train de vivre passionnément à Makobar. Elle avait droit à deux jours de congé sur un mois de travail sous les tropiques, en tant qu’expatriée. Elle avait demandé à en bénéficier par anticipation, au début de l’été, pour juste une dizaine de jours au total, le temps de renouer avec sa mère qui lui manquait énormément.
Roberdino Mansare s’était assombri, départi de sa superbe, à l’idée de cette séparation. Guillaume Seznec avait hésité à donner son accord. Mais il le fit quand même. Il demanda même à Roberdino d’aider Samantha à préparer son voyage et de l’accompagner à l’aéroport, le jour de son départ.
Marie-France avait été prendre Samantha, dans la nuit, à l’aéroport de Montpellier-Méditerranée, pour l’amener directement chez elles, à Millau. Sa fille lui était revenue épanouie et débordante de vitalité. Cette première impression lui fit énormément plaisir.
- Tu es splendide, ma fille ! L’Afrique te réussit bien, lui avait-elle dit, en l’admirant sous la lumière du salon, tandis qu’elle défaisait fébrilement ses valises pour en sortir les colifichets et babioles exotiques qu’elle lui avait ramenés du Muntuland.
- Tant que ça maman ? C’est peut-être que je suis amoureux, très amoureux. Je suis à peine arrivée que j’ai sa nostalgie. Roberdino me manque...
- Un Européen ?
- Non maman, un Africain de pure souche, grand, altier, cultivé, beau comme un dieu, courtois et attentionné. Je suis sure qu’il te plairait à l’instant où tu le verrais. Je t’ai d’ailleurs ramené des photos où nous sommes ensemble. Ah, les voilà...
Samantha tendit un paquet à Marie-France. Elle le défit et regarda attentivement les images, une à une. Elle rangea et reposa le tout sur un guéridon proche d’elle. Elle garda le silence un long moment, puis se mit à sangloter et à murmurer tout doucement des paroles qui lui venaient du fond de son subconscient qui régurgitait un pan de sa vie passée.
- Non, pas lui... Je t’en conjure, mon dieu, pas Massaère Ndire avec toi, ma fille, notre...
- Mais maman, qu’est-ce que tu racontes comme ça et pourquoi ces pleurs subites ? Tu te trompes de personne, l’interrompit Samantha. Mon amoureux ne s’appelle point Massaère Ndire, comme tu dis, mais Mansare, Roberdino Mansare...
- Non, je ne puis me tromper. Cet homme-là, quand je l’ai connu et aimé ne s’appelait pas Roberdino Mansare, mais Massaère Ndire. Il avait dix-sept ans. C’est ton père...
Et il lui dit toute la vérité, une vérité qu’elle ne pouvait plus taire, malgré l’engagement auquel elle avait souscrit, un quart de siècle plus tôt.
* * *
Massaère Ndire était un beau garçon d’une noirceur d’ébène, orgueilleux et fier de sa personne, sympathique, souriant et courtois avec ses proches. Mais il pouvait être agaçant et chahuteur en classe, quand un professeur ou un cours ne lui plaisait pas. Il aimait les mathématiques et encore plus le professeur qui les lui enseignait, en classe de seconde, au lycée de Ramato, sur la côte océane du Muntuland. C’était Madame Le Marchand, Marie-France. Elle avait vingt-six ans. Il n’en avait que dix-sept.
Sous le charme de Marie-France, Massaère Ndire qui sortait à peine de la puberté mais qui semblait plus vieux que son âge, avait tout fait pour être dans ses grâces. Il travaillait comme un fou pour se faire remarquer et apprécier. Intelligemment entreprenant, il l’abordait très souvent pour nouer conversation, loin des yeux et des oreilles de ses camarades, entre deux cours. Ils parlaient de questions relatives aux mathématiques et aux sciences, mais également de la vie du garçon, de ses angoisses existentielles et de ses rêves d’adolescent.
Marie-France aimait la compagnie rafraîchissante de son studieux et brillant élève. Elle prit le pli de l’inviter chez elle, dans son appartement de la rue Félix Faure, sous le prétexte de cours particuliers gratuits, comme il les lui demandait. Le professeur devint la confidente de l’élève. Une franche complicité s’instaura entre eux. Leurs sorties extrascolaires furent de plus en plus fréquentes.
De fil en aiguille, dans un jeu amoureux aussi vieux que l’humanité, leurs liens se resserrèrent tout naturellement, transcendant leur grande différence d’âge : neuf ans ! Ils devinrent amants.
La rumeur était partie de la rue Félix Faure, des voisins européens de Marie-France renseignés par une de leurs bonnes, elle-même informée par celle de Marie-France. Les « relations coupables » que cette dernière entretenait avec son élève, dans sa chambre et même dans le salon, tous les week-ends devinrent vite un secret de Polichinelle.
Dans le cercle fermé des Européens de Ramato, que Marie-France ne fréquentait d’ailleurs guère, les plus mauvaises langues avaient vite fait de qualifier ses intimités avec le collégien noir de «détournement de mineur», «d’atteinte sexuelle sur mineur» et même «d’esclavage sexuel». Parmi eux, quelques libertaires se mirent en porte-à-faux, clamant haut et fort qu’il ne s’agissait que d’une liaison charnelle librement consentie entre un homme et une femme, et qu’il n’y avait pas là de quoi fouetter un chat.
Le proviseur du lycée de Ramato eut vent de toutes les rumeurs qui allaient s’épaississant autour de personnes qui étaient sous son autorité. Il fit diligenter une enquête policière. L’étroite surveillance à laquelle le domicile du professeur fut soumis confirma l’évidence. Un rapport circonstancié fut commis et transmis au proviseur. Il en référa, en procédure d’urgence, au ministre de l’Enseignement et de l’Education du Muntuland qui s’en ouvrit immédiatement à son homologue français.
Au regard d’une loi que le Muntuland et la France avait sensiblement à l’identique, les amours entre Marie-France Le Marchand et Massaère Ndire étaient pénalement répréhensibles. Un adolescent, quel que soit son degré de précocité, n’est pas censé avoir la maturité et le discernement requis pour consentir à des rapports intimes poussés avec un adulte, surtout quand cette personne est de surcroît son professeur.
L’enseignante, avait-on souligné, de par l’autorité et l’influence que lui conféraient ses fonctions, avait manipulé l’enfant et instauré avec lui cette relation d’autorité abusive qui avait accouché de ce qui risquait d’être un très grand scandale. Et la crainte fut qu’il entachât gravement la coopération « mutuellement enrichissante » entre la France et le Muntuland, si la presse en faisait ses choux gras.
Les autorités muntulandaises et françaises s’accordèrent donc pour étouffer l’affaire. En contrepartie de leur acceptation de ne pas porter plainte, les parents de Massaère se virent proposer la prise en charge des frais d’études du jeune homme, non au Muntuland, mais dans un pays voisin, sous une autre identité et sous la tutelle d’un Européen qui s’était d’emblée proposé. Plutôt fiers de la prouesse de leur étalon en herbe et n’ayant à aucun moment envisagé d’ester devant les tribunaux, ils ne se firent pas trop prier.
Massaère Ndire était ainsi devenu Roberdino Mansare, à l’état civil. Il termina sa scolarité au Walaba voisin, obtint le baccalauréat scientifique avec mention et fit de brillantes études supérieures en Économie et gestion. Son tuteur n’était autre que Guillaume Seznec. Celui qui était comme un père pour lui, le prit quasiment comme directeur financier, directeur général adjoint de fait, après l’avoir fait revenir au Muntuland, pour de bon, chez lui auprès de ses parents.
L’administration avait été quelque peu clémente avec Marie-France Le Marchand. Comme il n’y avait pas eu plainte de la part des parents de l’élève et que le ministère public avait évité de se saisir de l’affaire, la jeune femme n’eut pas de souci pénal avec son « histoire d’amour». On la laissa terminer l’année scolaire, avant de la rapatrier, mais avec la ferme injonction de ne pas revenir au Muntuland, ou de renouer une quelconque relation avec l’adolescent.
Marie-France s’en était retournée dans sa ville de Millau, pour se reconstruire, vivre sa vie autrement. Elle s’aperçut qu’elle portait une grossesse de huit semaines, peu après son rapatriement. Elle n’avait connu d’autre homme que Massaère Ndire, depuis la mort de Julien Le Marchand. Elle ne pouvait ni le revoir, ni lui écrire, ni l’appeler pour lui dire qu’elle était enceinte de ses œuvres. Il ne sut rien de la venue au monde de son enfant, du fruit de leurs amours interdites.
C’est cette enfant, Samantha Junot, qui tomba incestueusement dans ses bras et dans son lit. Elle n’en sortit pas indemne. Ce qu’elle n’avait pas dit à sa mère, en la quittant en cette belle matinée printanière, après qu’elle lui eût conté ce qu’elle savait de son histoire, est qu’elle également était enceinte de ce père qu’elle n’avait pas connu.
Guillaume Seznec avait suivi à distance la vie que Marie-France Le Marchand menait en France depuis son départ du Muntuland. Il avait été mis au courant de la naissance de Samantha dont la couleur de peau n’avait laissé aucun doute sur sa paternité.
C’est Seznec en personne qui avait sollicité et obtenu, de la Direction Région Sud de RAZAC GLOBAL, l’affectation temporaire de Samantha Junot dans son entreprise. Il avait pensé bien faire en mettant en contact le père et la fille, vingt-cinq ans après. Mais ce rapprochement se solda par une tragédie, le suicide de Samantha pour sa délivrance d’un amour impossible.
(*) Papa dit Amadou Fall, dit Bour, est de la Promotion 1970. Cette nouvelle est extraite de son recueil « Il était une fois au Muntuland» publié chez Edilivre en 2017.
A découvrir aussi
- La numération en langue nationale- Par Cheikh FALL *
- L’enfant et la mer - Par Fara SAMBE *
- Héliopolis sombra sous les eaux... - Par Amadou FALL
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 94 autres membres