L'École que veulent les citoyens sénégalais – Par Mafakha TOURÉ *
Le texte ci-dessous est extrait du discours de Mafakha TOURÉ, coordinateur du Comité d’Appui Scientifique, lors de la cérémonie d’ouverture des Assises de l'Éducation et la Formation tenues en 2014. Nous le partageons ici car il répond aux questions et attentes des citoyens sénégalais par rapport à l'école. Il retrouve toute son actualité dans ce contexte marqué par un regain d’incivisme dans les établissements scolaires…
[…] Nous sommes à la croisée des chemins et le moment est favorable aux grands changements, aux vraies ruptures. Mais en vérité, une rupture n’a de chance de prospérer que quand elle est portée par l’éducation. Il est bien vrai que l’école est à la confluence de tous les problèmes, mais c’est aussi par elle, qu’ils trouvent les solutions les plus durables. Beaucoup de nations l’ont bien compris et depuis fort longtemps. En fait, le colonisateur, en vue de son installation au début du 19ème siècle a mis en place les premières écoles sénégalaises ; pour mieux exploiter les colonies et amener les populations à consommer ses produits et développer son industrie naissante. L’administration de l’époque considérait d’ailleurs l’école comme la « chose la plus importante» dont elle devait s’occuper.
Il n’est pas nécessaire d’insister sur les cas des pays asiatiques qui ont également fait le pari sur l’éducation pour se développer ; car nous avons nos propres exemples. Certains de nos devanciers avaient bien compris que la meilleure forme de résistance, la plus pertinente et la mieux adaptée était l’investissement dans l’éducation. En effet, le contexte de l’époque était marqué par de graves crises sociales, politiques, économiques ; la société avait perdu tous ses repères suite à des siècles de violences et de barbarie. La société était en déliquescence, les valeurs, à leur plus faible niveau...
C’est dans ce contexte, que d’illustres sénégalais ont eu à prôner le retour à l’éducation : El hadj Malick Sy, Cheikh Ahmadou Bamba et bien d’autres encore.
Les États Généraux ont été également des moments d’introspection pour rebâtir un système éducatif plus national et plus démocratique. Les programmes qui se sont succédés depuis lors ont permis beaucoup d’avancées dans les scolarisations. Mais dans le fond, la société est restée malade et avec elle, son école.
Les diagnostics faits par les communautés, les experts et les acteurs de l’éducation font état d’une situation qu’il convient de corriger en toute urgence :
- L’instabilité de l’école est structurelle, inquiétante et traduit un mal être profond : que des enseignants, des élèves aillent en grève pendant 3 à 5 mois ou décident d’une année blanche ou boycottent des évaluations, que des populations laissent faire, qu’une administration affiche son impuissance…il y a là un problème qu’on ne rencontre nulle part,
- les Sénégalais pensent que l’école actuelle n’est qu’une fabrique de chômeurs, elle n’est plus un modèle de réussite,
- La faiblesse des résultats aux examens, du BAC au CFEE, illustre bien la nécessité de repenser le système,
- Les craintes sérieuses sont exprimées par les populations de voir se produire deux ou trois sénégalais : des occidentalisés, des orientalisés et d’autres, qui se méfient ou s’opposent,
- La faible implication des communautés à l’école traduit un manque d’intérêt certain,
- Le système éducatif est déséquilibré pour répondre aux exigences de développement:
- Le préscolaire ne représente que 13%
- La formation professionnelle est juste à 5%
- 57% de la population est encore analphabète et les ressources qui lui sont dédiées marginales
- Le déséquilibre entre filière littéraire (70%) et scientifique (30%) ne milite pas pour le développement
- Les écoles coraniques végètent dans l’informel ou à la périphérie du système alors qu’elles drainent des centaines de milliers d’enfants
- Les langues nationales restent toujours à l’état d’expérimentation malgré les avantages qu’on reconnaît à leur utilisation
- La majorité des écoles privées sont hors normes...
Le Sénégal consacre une part substantielle de son budget à l’éducation et pourtant nous peinons à atteindre les objectifs qu’on s’est fixés.
- Nous peinons à enrôler tous les enfants, le TBS primaire tourne autour de 95%
- Nous n’arrivons pas à les retenir dans le système : redoublements, abandons, exclusions, échecs, taux de transition… sont des maux qui gangrènent le système
- les disparités régionales, de genre… sont persistantes
- Les abris provisoires font légion même dans le secondaire…
Tout cela se résume en une demi-douzaine de défis principaux :
- Une école sénégalaise unifiée
- Une école de la réussite : efficacité interne et externe
- Une école efficiente, dans un système de gestion sobre, vertueuse et créative
- La professionnalisation des personnels
- Une école autonome et ouverte sur le milieu
- Une école rénovée dans un environnement apaisé.
On est à la croisée des chemins !
L’école est malade, la société dans son ensemble souffre ; il n’est que temps de repenser le système, pour la sauvegarde de l’unité nationale, pour donner les mêmes chances à tous, pour nous réconcilier avec notre culture…
La vision partagée est déclinée par les Sénégalais en plusieurs dizaines de recommandations ; nous allons tenter de vous en faire l’économie autour de quelques axes majeurs.
En effet, les Sénégalais disent vouloir :
1. Une école de la République
L’école de la République est celle de la citoyenneté locale, nationale et internationale qui vivifie le sens du patriotisme et de la solidarité nationale, incarne les vertus du travail bien fait. Elle trouvera ses ressorts dans les valeurs fondatrices et mobilisatrices faites de respect, la foi et la créativité.
L’école de la République promeut un Etat de droit fondé sur la démocratie, la justice sociale, le respect des institutions, des lois et règlements, de l’autorité, des symboles de la République et du bien public, le développement sans cesse du dialogue social, culturel, technique et politique pour la cohésion nationale et la paix sociale…
L’école de la république valorise les ressources éducationnelles traditionnelles locales positives. Elle intègre l’utilisation pérenne des langues nationales en tant qu’enjeu stratégique qui doit, à moyen terme, arriver au rang de langue d’enseignement en cohabitation avec le français, l’arabe et l’introduction de l’éducation religieuse dans tout le cycle fondamental.
Cela commence par la reconnaissance des daara comme étant des structures éducatives aptes à former des citoyens capables de participer au développement du pays; pour ce faire, il faudra offrir aux maîtres coraniques un plan de carrière avec un statut d’enseignant ; leur assurer une formation adéquate, mettre en place des modèles, construire des daara, réglementer leur ouverture...
La prise en compte convenable de l’alphabétisation est un impératif ; en effet, dans son ambition de réaliser un Sénégal émergent, force est de reconnaître qu’il est difficile de le réussir avec plus de 50% d’analphabètes quand on sait que le développement est porté par des ressources humaines compétentes, d’abord libérées des entrailles de l’ignorance, puis productives et capables de conduire individuellement et en groupe les changements adéquats. Promouvoir l’alphabétisation, lui donner les moyens qu’il faut, est un acte de justice sociale et d’équité qui permet l’exercice du droit à l’éducation.
Une école bien sénégalaise suppose un système de passerelles et d’intégration dans l’éducation de base. L’obligation scolaire de 10 ans permet à tous les apprenants enrôlés de disposer des compétences nécessaires pour entamer une vie professionnelle à défaut de pouvoir suivre l’enseignement secondaire général et technique, l’enseignement supérieur. Ainsi, il sera mis en place un système de passerelles et d’intégration pour la visibilité et la valorisation de tous les modèles d’éducation et de formation, notamment ceux alternatifs, en vue de disposer d’un système pluriel intégré, assurant les mêmes sorties socioprofessionnelles pertinentes quelle que soit la langue d’enseignement. Cela suppose la mise en place de mécanismes de reconnaissance, d’intégration et de valorisation des vécus éducationnels aussi bien dans le formel, le non formel, que dans les systèmes spécifiques.
2. Une orientation scolaire et professionnelle en faveur des filières scientifiques, techniques et professionnelles
L’école du futur doit inverser la tendance en créant les ruptures nécessaires pour accorder la priorité aux filières scientifiques, techniques et professionnelles dans la quête permanente de réponses à l’employabilité des jeunes et dans la contribution au développement du pays qui doit s’adapter aux mutations technologiques et à l’évolution des normes de qualité du marché du travail.
Une réponse à la baisse drastique des effectifs des élèves et à la rareté de la ressource humaine en mathématique notamment est une forte préoccupation des présentes Assises.
3. Une école publique
Tout en promouvant la cohésion nationale, le système d’éducation et de formation envisagé doit garantir le droit à une éducation de qualité pour tous. En garantissant un accès gratuit à l’École publique, le SEF contribuera à la promotion de l’équité, de l’inclusion, notamment pour les enfants ayant besoin d’une offre éducative spécifique.
4. Une école de la réussite, du mérite et de l’excellence
Le système d’éducation et de formation devra s’employer à rétablir la confiance et restaurer sa vocation en dispensant un enseignement de qualité, c’est-à-dire qui garantit une insertion socio-économique et culturelle (compétences de bases) à tous les enfants suivant leurs capacités et dispositions, ceci après au moins l’achèvement du cycle fondamental.
Elle garantit ainsi la réussite pour toute offre d’éducation ou de formation choisie et valorise le mérite qui est le couronnement des efforts et sacrifices consentis par l’apprenant/élève, la famille et la communauté.
Par ailleurs, dans le contexte actuel, il nous semble important de mettre en place une politique conséquente et durable d’accès au numérique : il s’agit précisément de définir de manière très claire les orientations des TIC à l’école : quelles fonctions ? Quels usages ? Quelles transformations programmatiques, organisationnelles et physiques des écoles ?
5. Un système d’assurance-qualité
La qualité de l’éducation est un déterminant puissant de la performance économique des pays en développement comme le Sénégal. Il est nécessaire de mettre en place un système d’assurance-qualité qui devra prendre en compte et restructurer le dispositif actuel de management, de pilotage de la qualité pour améliorer l’efficacité interne et externe.
A cet égard, la gestion axée sur les résultats devra être renforcée pour contribuer à la réussite pour toutes et pour tous avec un nouveau système d’évaluation et un dispositif de remédiation interne et externe.
Cet impératif nécessite l’utilisation, dans les délais les meilleurs, des résultats de l’étude sur « les normes et standards de qualité » en les élargissant à tous les domaines. En tout état de cause, toutes les écoles, publiques comme privées, urbaines ou rurales, dans un souci d’équité et de justice, doivent répondre aux normes.
- Le retour et le développement du sport scolaire est devenu un impératif attendu de tous les acteurs, c’est un instrument de qualité, d’émulation, de solidarité, de dialogue, de pacification de l’espace scolaire, d’épanouissement de l’apprenant mais une stratégie de développement à long terme du sport en général.
7. Une gouvernance partenariale transformationnelle
La vision dégagée qui met l’emphase sur une école de la communauté postule une gouvernance partenariale transformationnelle. Celle-ci, gage de qualité et d’efficacité pour le système éducatif de notre pays, doit être d’abord, une coordination verticale entre les différents niveaux : central, déconcentré et opérationnel. Elle est aussi une coordination horizontale entre les acteurs et les bénéficiaires du système que sont l’Etat, le secteur privé, la société civile, les partenaires et les collectivités locales.
La Gouvernance Partenariale Transformationnelle devra également renforcer l’autonomisation des structures déconcentrées par la facilitation de l’émergence d’un leadership transformationnel à la base avec comme clefs de voûte des Inspections d’Académie et des Inspections de l’Education et de la Formation en mesure d’impulser les changements privilégiant l’encadrement de proximité et des Établissements scolaires devenus de véritables centres névralgiques pour la promotion d’une éducation de qualité inclusive, équitable (centralité de l’élève).
Le dispositif partenarial exige aussi la transparence dans les processus décisionnels, le droit et la possibilité d’accéder à l’information pour toutes les parties prenantes. Le principe de la reddition de compte doit être instauré à tous les niveaux.
Dans ce processus, la Gouvernance Partenariale Transformationnelle contribue à redonner aux communautés leur véritable place et à jouer le rôle qui leur est dévolu. L’école de la communauté, pour la communauté et par la communauté ne peut se bâtir sans la communauté qui est l’épicentre du dispositif pour une appropriation vers l’autonomisation. Dans cet ordre d’idées, elle devra tenir compte de l’Acte III de la décentralisation.
Une bonne gouvernance suppose aussi un dispositif institutionnel adéquat :
C’est pourquoi, l’architecture du système doit être revue. Au niveau central, la redéfinition des directions qui structureront le nouvel organigramme devront voir leurs missions clairement cernées et surveillées. Il s’agira aussi de mettre en cohérence l’organisation du niveau central et celle du niveau local.
Au total, il s’agit de mettre en place un cadre institutionnel stable et adapté assurant à la fois la coordination effective de l’action gouvernementale, l’adoption d’organigrammes en cohérence avec la nouvelle option, la modification des textes réglementaires et la mise en place d’outils pertinents et efficaces.
Enfin, les progrès faits dans l’utilisation de l’informatique dans la gestion sont à encourager et à poursuivre à tous les niveaux.
8. Un système de recrutement garantissant des ressources humaines compétentes et de professionnalisation
Le système doit se doter d’une politique de recrutement. La maîtrise du recrutement des personnels et de la gestion des personnels constitue un défi majeur à relever. Eriger la transparence en principe de base pour la dotation du secteur en ressources humaines compétentes selon des critères compétitifs et sélectifs intégrant la dimension genre. Dans cette logique, le mérite doit être placé au cœur du dispositif et considéré comme le baromètre pour l’appréciation du profil moral, académique recherché. Pour les différents niveaux d’éducation et de formation, il importe de fixer la durée minimale de la formation à deux ans après le baccalauréat pour le cycle fondamental. Il s’agit de professionnaliser les enseignants.
La professionnalisation des acteurs du système éducatif passe aussi par une bonne formation initiale mais surtout un bon système de formation continue de tous les personnels. C’est le sens de la création des CRFPE. Cela suppose aussi la reconnaissance du droit à la formation. Il s’agira aussi de mettre en place un système de certification et de valorisation des acquis de l’expérience. La modernisation de l’enseignement religieux islamique, de l’alphabétisation passent par ce système. Il s’agit là d’un système important de motivation des acteurs de l’éducation.
9. Le respect de l’éthique et de la déontologie dans l’exercice du métier d’enseignant/éducateur
Bénéficiant de la confiance de la famille et de la communauté, l’enseignant /éducateur est chargé de former des hommes libres, conscients, actifs, responsables, animés de l’esprit de justice et de solidarité, ouverts au monde et aptes à transformer la société. Cet agent aussi important pour la société, qui est un modèle pour la jeunesse du pays, doit obligatoirement se soumettre à un code d’éthique et de déontologie pour faire du métier un sacerdoce. L’exemplarité dans le comportement, l’assiduité, la ponctualité, l’engagement, le dévouement.
A ce titre, il a « des responsabilités qui les obligent à se mettre au service des institutions et à faire preuve de loyauté. » Il devra respecter la déontologie et l’éthique professionnelle du métier qui devront guider leur vie publique et leur vie privée indissociables pour sauvegarder l’image de marque de la profession enseignante et de l’enseignement. Modèle et référence pour l’apprenant. Si la loyauté doit être l’attitude permanente à observer vis-à-vis de l’institution, le respect des rapports hiérarchiques par la subordination doit être la manifestation de l’acceptation de l’autorité de ses supérieurs sans contrainte
10. Des stratégies novatrices de financement
Il s’agit, en plus des efforts consentis par l’Etat, les ménages et les partenaires techniques et financiers d’explorer de nouvelles niches de financement en favorisant le Partenariat-Public-Privé notamment avec la Formation Professionnelle et Technique.
La création de Fonds, de Fondation ou et de Banque de l’Éducation et de la Formation pourrait être étudiée pour venir en appoint à l’Etat et aux ménages…
(*) Mafakha TOURÉ est de la promotion 1971
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