L'évaluation au coeur de l'éducation - Par Mafakha TOURÉ *
L'évaluation occupe une place de plus en plus importante dans ce monde en pleine mutation. La Gestion axée sur les résultats exige plus de reddition des comptes, une gestion transparente mais également une bonne planification avant toute entreprise. Le secteur de l’éducation n’échappe pas à la règle. L’évaluation est même au cœur de son processus.
En effet, il est exigé de chaque enseignant une bonne connaissance de ses élèves, des rémédiations à fur et à mesure des enseignements-apprentissages et une évaluation finale attestant ce que vaut chacun. D’où les différentes évaluations.
A. LES DIFFÉRENTES FORMES
1. L’évaluation diagnostique
Elle permet de situer l’apprenant dès le début. cette évaluation doit avoir une fonction d’orientation. Elle doit servir à différencier les parcours des apprenants. Elle permet à l’enseignant de se faire une idée sur chaque apprenant ; c’est peut-être aussi le point de départ des représentations, de la transmission par les prédécesseurs de ce que vaut chacun et des attitudes à avoir.
2. L’évaluation formative
Est l’évaluation qui permet à l’apprenant de voir où se situent ses acquis par rapport aux exigences de réussite de la formation. Elle arrive en cours de formation. Toutes les évaluations informelles (que l'on peut également appeler "évaluations pédagogiques") sont des évaluations formatives. Le plus souvent, le résultat de l’évaluation formative n’est communiqué qu’à l’apprenant. Dans ce type d’évaluation, correction/remédiation, il y a beaucoup d’interactions, de relations interpersonnelles entre l’enseignant et l’élève. C’est le cœur du métier de l’enseignant. Là se développe toute sa personnalité, ses attitudes.
3. L'évaluation sommative
Elle se situe à la fin et permet d’attester des acquis de l’apprenant. Bien souvent, elle donne lieu à la délivrance d’un certificat, on parlera donc d’évaluation certificative. Cette forme d’évaluation peut souvent être anonyme.
Mais il faut remarquer que dans la gestion des systèmes éducatifs, on s’intéresse plus à l’évaluation sommative avec les promotions, redoublements, abandons et résultats aux examens qu’aux autres interactions. Dans tous les cas l’évaluation est le résultat d’un processus qui se passe dans la classe et qui révèle les représentations de l’enseignant, son attitude par rapport au garçon et à la fille et sa façon d’enseigner. L’élève lui-même a ses propres représentations, attitude par rapport à l’école et à ses camarades. La réalité est différente selon qu’on est dans une classe mixte ou non.
B. L’EFFICACITÉ INTERNE ET EXTERNE : cas du SENEGAL
Ici sont privilégiés les résultats aux examens. Les performances pour le CFEE, le BFEM et le BAC général sont examinées ci-dessous.
1. LES RESULTATS AUX EXAMENS SCOLAIRES
Taux de réussite aux examens en 2014 |
G |
F |
CFEE |
70,80% |
66,50% |
BFEM |
51,00% |
43,70% |
BAC |
42,60% |
41,60% |
Source : RNSE 2014
Taux de réussite aux examens en 2018 |
G |
F |
CFEE |
53,98 % |
57,38% |
BFEM |
55,63% |
49,29% |
BAC |
37,10% |
37,10% |
Source RNSE 2018
Constats : globalement les taux de réussite aux examens sont insuffisants et ont tendance à baisser au cours de ces dernières années ; dans tous les cas les garçons réussissent mieux que les filles. Ce constat est transversal au niveau régional et on observe des résultats similaires en Afrique et à tous les niveaux d’enseignement quel que soit l’année considérée.
Les principales évaluations effectuées chaque années renseignent sur l’état très peu satisfaisante de la qualité de l’éducation au Sénégal. Il est vrai qu’outre les taux de réussite ceux de redoublement et d’abandon sont évoqués. On s’intéresse pas toujours aux pratiques de classe encore moins aux situations d’enseignement apprentissage certes plus difficiles à cerner.
Nous aborderons dans ce chapitre les pratiques de classe, l’importance et l’impact des déperditions
2. LES REDOUBLEMENTS ET ABANDONS
Redoublements et Abandons au cycle élémentaire
Dans l’élémentaire, Le taux de redoublement moyen national est de 3,6%. En 2016, il a augmenté au cours des 5 dernières années. Cela correspond a plus de 74.000 élèves.
En ce qui concerne l’abandon, l’effectif en 2016 se situe à plus de 190.000 élèves soit une moyenne nationale de 10,28.
Redoublements et Abandons au cycle Moyen
Globalement en 2016, le redoublement est de 19,14%. Soit plus de 90.000.L’abandon se situe autour de 11,75% au niveau national. Soient des effectifs de plus de 52.000.
Redoublement au secondaire général
En fin d’année scolaire 2015-2016, les effectifs de redoublement au secondaire étaient de plus de 30.000… soit un taux global taux de 20,46%.
En effet, en 2016, c’est plus de 300.000 enfants qui ont eu des difficultés, si cette tendance se maintient ils seront plus de 400.000 en 2020 c’est à dire en situation de risque d’abandon ou de redoublement.
La déperdition et les faibles taux de réussite sont liés à un environnement souvent peu favorable et une gestion quelque fois hasardeuse.
C. FACTEURS A RISQUE DE DEPERDITIONS
Malgré les avancées importantes enregistrées dans l’accès au service éducatif particulièrement au Primaire et au moyen, une partie significative de la demande d’éducation reste encore non ou mal prise en charge, les décrochages sont encore importants, les réussites insuffisantes. Plusieurs facteurs expliquent cette situation :
1. LA PAUVRETE
En effet, l’insuffisance de ressources des familles démunies, conduit à des arbitrages souvent au détriment des dépenses d’éducation de leurs enfants qui sont ainsi désavantagés par rapport à leurs pairs de familles nanties. Certains enfants sont ainsi non ou déscolarisées pour travailler (en 2013, 29% des enfants des ménages les plus pauvres travaillent, contre 2% pour ceux dont les parents sont les plus aisés)[1]. Les régions de Fatick (affectée par l’exode des jeunes filles travailleuses vers Dakar) de Matam, Louga et Diourbel (travail des garçons dans l’élevage, le commerce et le transport) sont des cas illustratifs. Les régions de Kolda, Kédougou, Sédhiou, Tamba, Fatick et Kaffrine soient les plus touchées par la pauvreté, en 2011, 62,4% des ménages ruraux et 45,9% de ceux urbains sont pauvres[2]. Le manque de qualification professionnelle (89,5% des sujets âgés de 6 ans et plus dont 92,5% de femmes contre 86,3% d’hommes) et l’analphabétisme favorise le chômage et aggravent la pauvreté.
2. DES INSUFFISANCES DE L’OFFRE D’EDUCATION :
Au-delà des curricula peu adaptés à la demande d’éducation de certaines populations, l’offre de service éducatif est encore limitée par diverses contraintes dont :
- Mobilité des enseignants:
Selon nos calcul, plus une zone est affectée par la mobilité des enseignants plus ses performances scolaires diminuent. Les régions de Matam, Fatick, Kédougou, Tamba et Kaffrine sont particulièrement éprouvées par la mobilité de leurs enseignants.
- La précarité de l’environnement des apprentissages:
en 2014, plus du quart des écoles publiques de l’élémentaire (26,8%) sont sans latrine, environ 30% sont dépourvues d’eau, 8,3% des salles de classes sont sous abris provisoires ; seules 31% sont électrifiées (19% en milieu rural). Ainsi quatre régions (Kolda, Tamba, Kédougou et Sédhiou) sont les plus affectées par ce dénuement en matière d’investissements : environ la moitié de leurs écoles sont sans eau, sans latrine, sans électricité ; elles comptent aussi le plus grand nombre de salles de classe sous abris provisoires ;
- La faiblesse de la formation continuée du personnel sur les questions de genre :
Constitue également une limite pour un traitement égalitaire (ou équitable au besoin) des garçons et des filles, au regard de leurs droits et besoins différenciés.
- L’insuffisance du temps de formation initiale
Pendant longtemps, le flux important de volontaires de l’éducation (formés intensivement sur une période de courte durée d’environ 6 mois) n’est pas suivi d’un ajustement concomitant de la formation continuée conséquente ; de même que le suivi pédagogique par les Inspecteurs contraints par une insuffisance de moyens et la faiblesse du ratio Inspecteur/ maîtres, ont été des limites.
- Un système d’évaluation peu exploité pour améliorer la qualité des apprentissages ; malgré la place importante donnée en théorie dans les nouveaux curricula à l’évaluation formative, (en vue du remédiation des insuffisances notées dans les apprentissages), cette pratique tarde à bénéficier de toute l’attention qu’elle requiert dans les processus d’apprentissage.
- L’absence ou l’insuffisance de modèle féminin (enseignantes) :
des enseignantes respectueuses des valeurs des communautés particulièrement en milieu rural, engagées dans le développement local, pourraient contribuer sans nul doute à vaincre certaines résistances socioculturelles vis à vis de la scolarisation des filles. Ces modèles sont malheureusement peu nombreux dans le personnel éducatif milieu rural.
- Perturbations scolaires:
les grèves récurrentes des enseignants et des élèves grignotent sur le temps d’apprentissage et constituent des facteurs de démotivation des enfants, (et de nombreux parents) surtout pour les filles qui à partir d’un certain âge (puberté), doivent mener une course contre la montre « biologique » : étudier pour se réaliser mais aussi se marier pour faire des enfants avant la ménopause.
- Enclavement de certaines zones :
l’Insularité (îles des départements de Foundiougne, d’Oussouye, de Ziguinchor etc. l’étendue de certaines régions (Tamba, Matam), le relief accidenté (Kédougou, Bakel) sont des contraintes qui limitent l’accès au service éducatif. En effet, des surcoûts (frais de pirogue) générés pour rejoindre certaines écoles situées dans les îles, les longues distances à parcourir (parfois dans des sites peu fréquentés sources d’insécurité pour les filles), découragent plus d’une famille pour la scolarisation de leurs enfants.
- Faible niveau d’implication des communautés dans la gestion de l’école
L’implication et la responsabilisation des communautés dans le fonctionnement des structures de gestion, Conseil de Gestion des écoles, (CGE) Association des Parents d’élèves (APE…), est un élément essentiel dans l’amélioration des performations scolaires surtout en matière de maintien des élèves. A Fatick, comme dans la plupart des autres régions, le manque de moyens, de dynamisme et de formation des membres de ces structures, constitue un handicap à leur efficacité.
- Les pièces d’état civil sont un grand casse-tête
Au Sénégal, l'état civil est régi par la loi n° 72-61 du 12 juin 1972 portant sur le code de la famille. Il permet aux citoyens d'attester des événements importants de leur existence (naissance, mariage, décès), donc des éléments constitutifs de l'état des personnes. L’enregistrement des naissances, un des volets de l'état civil, est un droit fondamental pour l'enfant : le droit à une identité.
Le Sénégal, à l'instar de bien d'autres pays du monde est très touché par le phénomène de la non déclaration des naissances. Le taux d'enregistrement à la naissance est de 48.8% pour les enfants de moins de 6 mois. L’enquête EDS MICS révèle que la grande majorité des enfants sénégalais (moins de cinq ans) est enregistrée à l’état civil (75 %, soit trois enfants sur quatre) dont 75 % des garçons et 74 % des filles.
Au Sénégal, le taux varie toutefois du milieu rural au milieu urbain. Ainsi les enfants enregistrés à l’état civil et disposant d’un acte de naissance sont proportionnellement beaucoup moins nombreux en milieu rural (50 %) qu’en milieu urbain (78 %) dans les villes;
De ce fait, trois (3) millions de Sénégalais sont inconnus à l’état civil ainsi le quart de la population sénégalaise n’est pas déclaré à l’état civil ; ce qui installe le Sénégal dans ce qu’il est convenu d’appeler un «scandale de l’invisibilité».
Au niveau des régions, les enfants de Tambacounda (55 %), Kolda (57 %) et Sédhiou (57 %) sont les moins fréquemment enregistrés à l’état civil ; à l’inverse, plus de 90 % des enfants de Dakar et plus de 80 % de Thiès (87 %) et de Ziguinchor (82 %) ont été déclarées à l’état civil et disposent d’un acte de naissance.
3. DES PROBLEMES SOCIOCULTURELLES
- Mariages précoces et grossesses :
La fréquence des mariages et grossesses précoces, constitue une entrave à la scolarisation des filles comme le montre les résultats de l’étude réalisée par le GEEP en 2015. Les régions de Kolda, Sédhiou, Ziguinchor sont les régions les plus touchées par ce phénomène. Selon le Rapport 54,43% des filles tombées enceintes, abandonnent leur scolarité ; 39,39% redoublent leurs classes tandis que 15,16 % parviennent à reprendre leurs études. Une enquête menée par l’ANSD[3] confirme les tendances haussières de la fécondité précoce des adolescentes.
- Manque d’intérêt et résistance de certaines populations :
à Kaffrine, Matam, Louga, Sédhiou, Fatick, Diourbel, Kaolack (des poches), on peut noter une certaine persistance de la résistance à l’offre classique de scolarisation. En effet, l’école coloniale dès son introduction au Sénégal au début du 19ème siècle, par ses contenus et méthodes, a été perçue comme vectrice de l’église et de la civilisation occidentale et serait par le fait même en opposition avec l’islam presque millénaire dans ce coin de l’Afrique. Bien entendu, les populations préféraient les écoles coraniques, plus anciennes et plus en phase avec les valeurs et cultures locales. Citons à ce propos le témoignage historique du Baron Roger en 1827 : « on rencontre des villages dans lesquels, il existe plus de nègres sachant lire et écrire l’arabe qu’on ne trouverait aujourd’hui encore dans beaucoup de campagnes de France, de paysans sachant lire et écrire le français ». Les résultats enregistrés en matière de scolarisation décrits ci-dessus, dans bien des régions comme Kaffrine, Diourbel, Kaolack, Louga, Matam, sont grandement minorés par cette insuffisance de l’adhésion d’une partie des populations au modèle d’offre d’éducation proposé. Le développement des écoles franco-arabes (3,8% du réseau public et 28,6% du privé) et le processus de modernisation des Daaras en cours, constituent sans doute, des pistes de solution à ce problème.
- Les violences faites aux enfants
Les violences de toutes sortes à l’école, sur le chemin de l’école et en famille sont des facteurs de démotivation.
4. ANALPHABETISME OU FAIBLESSE DU NIVEAU D’INSTRUCTION DES PARENTS
Notons aussi que l’analphabétisme concerne 46,3% des hommes et 62,3 % des femmes. En milieu rural, cet handicape touche 74,1 % des femmes. Il y a une importante corrélation entre l’analphabétisme global (Hommes et Femmes) et l’éducation des enfants. Il est aussi avéré que les parents influencent beaucoup l’avenir professionnel de leurs enfants. Aussi, plus les parents (particulièrement les mères) ont un niveau d’instruction faible, moins ils sont enclins et capacités pour accompagner la scolarisation de leurs enfants. Aussi, il faut ajouter que le travail des enfants facteur de déscolarisation, touche 16% des enfants dont les mères ne sont pas instruites contre seulement 2% pour ceux dont la mère a, au moins, le niveau du Secondair[4]. Les régions de Matam, Tamba, Diourbel, Kédougou ont les taux d’analphabétisme des femmes les plus marqués (79,3% ; 79,8% ; 78,6% ; 76,2%).
Les conséquences sont très importantes : le redoublement, l’abandon et la démotivation.
D. CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES DES DÉPERDITIONS
La pratique du redoublement constitue une problématique centrale des politiques éducatives. De nombreuses études, au cours des années 90, se sont intéressées à la question avec l’objectif de mieux comprendre les enjeux de cette pratique complexe sur le plan de la scolarisation, mais aussi, et de plus en plus souvent depuis la définition en 2000 des objectifs de l’EPT lors du Forum de Dakar, sur le plan de la qualité de l’Éducation[5]. Le PASEC affirme que cette situation se veut le reflet d’une certaine conception de l’éducation partagée entre deux grandes cultures éducatives, à savoir, anglophone et francophone…Alors que l’aire anglophone, et les pays scandinaves, pratiquent la promotion automatique, les aires francophone et lusophone (Europe, Afrique, Amérique) semblent généralement caractérisées par une pratique soutenue du redoublement.
1. PERTES SOCIALES
L’étude du PASEC sur la question conclut que le redoublement est sans intérêt pour l’élève malgré le caractère séduisant que lui accordent certains en faveur de la qualité de l’éducation. Beaucoup d’études ont montré les travers de cette mesure aux effets indésirables et peu efficaces. Dans l’ensemble, les élèves qui redoublent ne progressent pas plus vite que s’ils avaient été promus. Pire, un élève qui redouble progresse significativement moins qu’un élève aux caractéristiques comparables qui aurait poursuivi sa scolarité sans répéter une classe.
Diverses études montrent que des élèves, ayant redoublé dans une classe, n’auraient pas redoublé s’ils avaient été scolarisés dans une autre classe, voire dans un autre établissement[6]. Cette pratique est d’autant plus injuste qu’elle touche plus particulièrement les enfants appartenant aux milieux les plus défavorisés.
De prime abord, les conséquences immédiates du redoublement sont les abandons. Et en conséquence le chômage des jeunes.
Sortis prématurément de l’école avec ou sans diplômes, ces jeunes ne sont pas assez compétitifs sur le marché de l’emploi, celui-ci étant d’ailleurs déjà sature. La demande dépasse de loin l’offre. Et la conséquence qui découle du chômage est alors le banditisme et la délinquance. Tous les moyens deviennent bons pour se faire de l’argent entraînant par conséquent le culte du gain facile de l’argent.
Sur un autre plan et pour la société entière, la déperdition engendre une baisse de ressources intellectuelles et surtout du niveau général de la population en matière d’instruction. Par ailleurs, le redoublement est une mesure coûteuse au niveau psychologique. Elle se traduit par une baisse de l’estime de soi, car l’élève qui redouble risque d’être stigmatisé, voire pénalisé lors de son orientation scolaire. Dans de nombreux cas de figure, cette pratique a un effet démobilisateur chez l’élève induisant souvent une perte de confiance en soi, un certain découragement et une incidence potentielle sur l’abandon scolaire. Elle peut aussi s’accompagner d’une démobilisation parentale, néfaste pour la poursuite de la scolarisation des enfants.
L’analphabétisme associé à son tour du taux faible de scolarisation constitue un obstacle pour l’épanouissent intellectuel et également un handicap sérieux pour le développement du pays.
Les déperdition constituent d’immenses pertes des gain pour l’éducation, dans différents domaines : santé, croissance amélioration rendement travail, autonomie, espacement naissance…
2. COÛTS ÉCONOMIQUES DES DÉPERDITION
Les liens entre l’éducation et le développement ne sont plus à démontrer. Une des conclusions les plus convaincantes dont il est fait état dans la littérature récente sur la croissance est la contribution de la qualité de l’éducation à la performance économique. Les pays progressent lorsqu’ils améliorent la qualité de l’éducation ; Les résultats de la recherche démontrent l’importance de la qualité de l’apprentissage et de l’éducation pour la croissance économique et la réduction de la pauvreté (Hanushek and Woessmann, 2008).
Le nombre d’enfants nécessitant un encadrement spécifique à l’élémentaire étant de 270.000 enfants, le nombre de « classes » de renforcement à ouvrir se chiffre à 8.000 à raison de 37 élèves par classe. Dans les collèges, le nombre d’enfants nécessitant un encadrement se chiffrera à plus de 140.000.
Le manque à gagner dû à la déperdition
Niveau |
Coût unitaire d’un élève en FCFA |
Nombre d’enfants concernés en 2016 |
Total |
Primaire |
61 938 |
264000 |
16 351 632 000 |
Moyen |
186 241 |
142000 |
26 446 222 000 |
Secondaire Général |
653 861 |
30000 |
19 615 830 000 |
Ensemble |
|
|
62 413 684 000 |
Le gaspillage de ressources est de plus de 62 milliards chaque année.
En plus, en prenant en compte l’importance des taux de redoublement, d’abandon et de la faiblesse des Taux de réussite aux examens dans les cycles examinés, la rétention des élèves (particulièrement des filles), l’efficacité et l’efficience du système d’éducation de base sont grandement affectés.
Cette situation dans l’immédiat contribue à limiter les niveaux d’instruction des enfants et à moyen et long terme, constitue une menace pour le développement du Capital humain, l’égalité de chances et de conditions pour les femmes et les hommes afin de leur permettre de participer pleinement à la production économique et de jouir équitablement du fruit de la croissance.
E. RECOMMANDATIONS
Un système d’évaluation peu exploité pour améliorer la qualité des apprentissages ; malgré la place importante donnée en théorie dans les nouveaux curricula à l’évaluation formative, (en vue du remédiation des insuffisances notées dans les apprentissages), cette pratique tarde à bénéficier de toute l’attention qu’elle requiert dans les processus d’apprentissage.
1. Lutter contre la vulnérabilité
Pour lutter contre le phénomène de la déperdition en forte croissance, il faut octroyer aux enfants des familles pauvres des frais de scolarités. Les cantines scolaires, les bourses d’études, les fournitures, les tenues scolaires…ont fait leurs preuves dans beaucoup de pays ou d’endroits qui ont exploité ces stratégies. Mais cet acte ne suffit pas cependant à redonner goût pour l’école aux enfants. La responsabilité des parents et des professeurs est alors appelée pour cette motivation.
2. réformer le système d’évaluation
cela passe par la prise en compte des besoins et de la psychologie de la fille et de la femme. les études les plus récentes montrent que garçons et filles ne réagissent pas de la même façon face à un problème. En effet, les filles/femmes ont tendance à se concerter, à demander l’avis des autres avant les prises de décisions contrairement aux garçons. Ce phénomène est visible à partir du processus de socialisation.
Malheureusement pour les filles les examens n’autorisent pas cette attitude. Avec les résultats du test PISA (entre 2006 et 2015)[7], les chercheurs ont pu constater que quel que soit le type de test, les filles montraient une performance plus soutenue que les garçons sur les tests de longue durée. Effectivement, un autre résultat de l’évaluation est que les étudiants féminins et masculins adoptent des méthodes totalement différentes tout au long du test. Les hommes sont meilleurs pour les tests courts. Par ailleurs, il a été démontré (Veroff, 1981) que les garçons, et les hommes en général, sont moins nombreux à demander de l'aide lorsqu'ils doivent composer avec des difficultés personnelles.
Conscients de ces différences, certains pays ont réformé leur système d’évaluation en intégrant les contrôles continus dans les examens finaux et les résultats sont montés en flèche pour les filles.
3. intégrer cette dimension dans la formation des enseignant
La prise en compte de la dimension genre dans la formation des enseignants permet de pallier ces difficultés. Elle permet une meilleure exploitation des manuels même si ils renferment des stéréotypes mais permet d’aider l’enseignant à se corriger dans les situation d’enseignement-apprentissages.
Pour se faire il conviendra d’élaborer des modules spécifiques à administrer aussi bien au cours de la formation initiale que continue.
4. Mettre en place un dispositif de renforcement ou de remédiation
Il s’agira de :
- Créer un groupe de travail sur la prévention de la déperdition scolaire évaluer le volume de cas de déperditions liées aux abandons et redoublements,
- d’élaborer et de mettre en œuvre une stratégie de remédiation (cours de soutien).
- Renforcer le leadership des directions d’écoles et encourager les initiatives du personnel scolaire (encourager les pratiques pédagogiques innovatrices).
- Développer à tous les paliers (local, régional, provincial) les habiletés à résoudre la problématique de l’abandon scolaire.
- Développer, implanter et évaluer des programmes en matière de persévérance scolaire.
- Assurer la formation/perfectionnement du personnel scolaire à la poursuite des efforts.
- Un encadrement systématique est déployé dans l’école.
- L’amélioration de la relation maître/élève est une préoccupation permanente.
- L’école évalue les résultats de chaque projet, et vise de façon explicite un accroissement du rendement scolaire.
5. sensibiliser les acteurs sur les conséquences économiques de la déperdition.
Mais encore, la sensibilisation des populations à encourager les jeunes surtout les filles par des exemples concrets de femmes épanouies, qui ont réussi dans la vie à cause de longues études. Il faudrait les faire savoir également que la fille ne perd rien en étant instruite et qu’au contraire, cela constitue un acquis car elle vivra mieux après ses études. Seul un travail de conscientisation portera des fruits avec le temps et pourra réduire les abandons à cause d’une mentalité qui ne voit pas toujours les bienfaits qu’offre l’école.
La sensibilisation concerne tous les acteurs : enseignants, élèves, parents, communautés et autorités de l’éducation. Une meilleure implication des communauté est souvent facteurs de succès.
Il s’agira d’informer par différents canaux sur les méfaits des facteurs discriminants mais la nécessité d’apporter les changements dans le curriculum d’une façon générale.
Enfin, le redoublement doit être minimisé pour laisser la place à d’autres formes d’intervention. Ainsi, selon les contextes éducatifs, diverses solutions de remplacement à cette pratique du redoublement, dont les classes à effectifs réduits et le tutorat par des pairs ou des élèves plus âgés, pourraient être imaginées et mises en œuvre pour apporter une aide aux élèves en difficultés scolaires.
Par ailleurs, comme avec les ordures qui peuvent se transformer en or, la déperdition scolaire peut être source de création de milliers d’emplois pour les jeunes diplômés.
[1] EDS-MICS 2012-2013/ANSD
[2] Enquête de suivi de la pauvreté au Sénégal 2011/ ANSD
[3]Enquête récente (2014) de l’Agence nationale de Statistique et de la Démographie (ANSD) parue le lundi 12 octobre 2015 dans SENEWEB,
[4] EDS-MICS 2012-2013/ANSD
[5] La qualité de l’éducation un enjeu pour tous : Constats et Perspectives, CONFEMEN
[6] Beaucoup de cas sont connus
[7] meilleurs résultats sur les examens longs que les hommes, Les hommes eux, sont meilleurs sur les tests courts.
Par Marion Durand, 06/09/2019 17:38 CEST | Actualisé septembre 7, 2019
(*) Ancien Secrétaire Général du Ministère de l'Education Nationale
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