Sébikotane (1937-1965) : Un lieu d’enracinement rural
En 1937 l’école est transférée à Sébikotane, près de Rufisque, dans une ancienne caserne située le long de la ligne de chemin de fer. Sébi William Ponty (ou Sébi Ponty) est aujourd’hui le nom du village créé par le personnel africain de l’Ecole. Situé dans la commune rurale de Yenne, il compte aujourd’hui 1 800 habitants.
Le regain d’intérêt accordé à l’agriculture au lendemain de la première grande guerre amena le Gouvernement général à l’inclure dans les programmes de l’Ecole normale. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a été jugé nécessaire de transférer l’établissement dans un environnement répondant aux exigences de la nouvelle donne. L’île de Gorée, étroite et rocailleuse, n’en était pas le site idéal. Sébikotane a donc été choisi, après qu’on eût pensé à l’espace sur lequel sera bâtie, plus tard, l’Université de Dakar.
« Plusieurs considérations concouraient au choix de Sébikotane : isolement permettant une vie indépendante de l’établissement, calme de la vie scolaire et la santé morale par l’éloignement de la ville, possibilité d’orienter l’enseignement vers les disciplines agricoles en raison de l’activité paysanne des futurs instituteurs mais aussi des médecins et des fonctionnaires appelés à servir pour la plupart dans les écoles de brousse », selon les explications de Bergo, dans un articule « Une pépinière d’hommes politiques, l’Ecole normale William Ponty », publié dans la revue « Europe-France-Outremer ».
A Sébikotoane, l’établissement s’émancipera de son ancrage rural pour des formations plus pointues. C’est dans cette dynamique qu’ont émergé les premiers enseignants titulaires du Certificat d'Aptitude au Professorat de l'Enseignement du Second degré (CAPES) en l’occurrence feux Mamadou Ngom de Diourbel, Kalidou Camara de Ziguinchor (Mathématiques) et Yaré Fall de Thiès (Physique et Chimie). En sont également issus les premier inspecteurs de l’Enseignement élémentaires dont Chérif Tall de Dianah Ba, Yaya Konaté de Bakel, Mamadou Fadiga de Thiès. Tous ont parachevé leur formation à l’Ecole Normale supérieure de Saint-Cloud en France, pour l’obtention de leurs diplômes et grades.
Par ailleurs, avec l’arrivée d’Ousmane Thiané Sar et Abdoulaye Albert Ndiaye en 1938, le scoutisme entre aussi à l’école, qui devient le point d’ancrage d’où rayonnera le scoutisme africain. Le théâtre également…
L’Ecole Normale William Ponty est un établissement exclusivement masculin. Elle recevait les élèves titulaires du BEPC à la suite d’un concours auquel participaient des candidats des huit territoires de l’AOF (Côte d’Ivoire, Dahomey, Guinée, Haute-Volta, Mauritanie, Niger, Sénégal et Soudan).
Les élèves des deux premières sections faisaient le cycle complet à Ponty. La troisième et dernière année constituait l’année de spécialisation.
La particularité de l’ancien régime se trouvait dans le fait qu’aucun de ses diplômes n’avait d’équivalent en France.
LE REGIME DES ETUDES
Dans sa phase de Sébikotane, Ponty a évolué sous trois régimes : l’ancien régime (1937-1948), le régime de 1949-1951 et le régime de 1951 -1965.
- L’ancien régime : (1937-1948)
L’Ecole Normale William Ponty recevait à la suite d’un concours fédéral les meilleurs produits des écoles primaires supérieures des différentes colonies. Une fois à Sébikotane et à l’issue d’un tronc commun de deux ans, les élèves étaient répartis en trois sections :
- Section Enseignement
- Section Administration
- Section Médecine
- Le régime de 1949-1951
C’est le contexte de la seconde guerre mondiale qui permet de bien comprendre ce que nous appelons le nouveau régime de l’ENWP. Depuis la conférence de Brazzaville en (janvier 1944), le pouvoir colonial commençait à reconnaître que « l’enseignement de la masse, qui devait donner à l’ensemble de la population indigène la recette d’une vie plus productive et plus saine, restait à créer »
- Le régime de 1951-1965
En 1951 l’Ecole William Ponty devient essentiellement Ecole Normale.
Un arrêté, celui du 1er Aout 1951 changea une fois encore l’orientation de l’Ecole William Ponty. En vertu de cet arrêté, elle devient essentiellement une Ecole Normale, destinée à former des instituteurs des écoles publiques.
LES PROGRAMMES
A côté des programmes communs, il y avait des programmes spécifiques par section :
- Les programmes communs
En première année de formation à l’ENWP, tous les élèves suivaient un tronc commun.
L’enseignement de la littérature et des sciences sociales :
- Le français:
Le pouvoir français attachait une importance capitale à l’enseignement de la langue française (base de sa politique culturelle). Elle constituait l’élément le plus important dans les programmes de l’ENWP.
En 1945, l’enseignement du français occupait 8h par semaine à Ponty, alors qu'il était de 4h dans les autres écoles normales et de 5h dans les Ecoles Primaires Supérieures de la métropole.
- L’histoire et la géographie:
Il s’agissait d’étudier la France et son empire, la colonisation en AOF, la société indigène.
- Les programmes spécifiques par section
En deuxième année, ils sont classés dans les différentes sections conformément à ces trois critères respectifs : par ordre de mérite, suivant leur choix et dans les limites de la répartition correspondante aux besoins des colonies.
- La section enseignement
Sa formation professionnelle commençait dès la deuxième année où l’éducation générale était déjà orientée vers l’éducation professionnelle. L’élève-maitre effectuait des stages à l’école annexe. Il assistait aux classes comme simple observateur.
- La section administration
La section préparait, les agents stagiaires des cadres communs secondaires (CCS) de l’administration : douane, poste, commerce, commis expéditionnaires, secrétaires des greffes et parquets, comptables, chemins de fer, travaux publics, télégraphe, radio, téléphone etc…
- La section médecine
Quant à la section préparatoire à l’école de Médecine, elle présentait une situation particulière. A la différence des deux autres sections, elle ne formait pas des professionnels accomplis (notamment médecins, pharmaciens et vétérinaires). Sa vocation se limitait à préparer ses élèves à entrer à l’Ecole de Médecine de Dakar (pour quatre ans supplémentaires) et l’Ecole Vétérinaire de Bamako. C’est au sortir de ces écoles que les élèves pouvaient entrer dans la vie professionnelle.
La promotion 1938 -1941
3 promotions de la section « Enseignement », 1938-1941. Assis : au milieu trois professeurs ; à gauche et à droite les surveillants généraux Ouezzin COULIBALY et G.GODFRED
TEMOIGNAGE DE MALICK MBAYE
Une promotion célèbre et très créative
« En 1938, Ponty venait d’être transférée de l’Ile de Gorée à Sébikotane et la promotion 1938-1941 se révéla être parmi les plus créatives et les plus célèbres de cette Ecole. En effet, de nombreux Hommes d’Etat, des diplomates de carrière, des enseignants , des médecins de renom et même un illustre pensionnaire de la Comédie française seront issus de cette promotion : Ousmane Thiané Sar, Bakary Djibo, Assane Seck, Abdoulaye Albert N’Diaye, Baffa Gaye, Thierno Souleymane Diop, Abdoulaye Seck dit Douta, Ould Deyine, Mangoné Seck, le professeur Papa Koaté, le Docteur Lamine Sine Diop, Demba Bèye, Modibo Bamani, Ibrahima Ahmadou Sangho, Mbaye Gaye, Malick Thioye, Abdoulaye Diallo, Maham Coulibaly, Demba Konaté, Lompolo Koné, Séga Gueye, Arona Sy, Macodou Diène, Mody Diagne, Issa Diop; Docteur Thianar Ndoye ; Docteur Brelotte Sow; Médoune Fall; Hamat Ba, etc.
Dans tous les domaines de la vie où ils ont eu à s’engager, ils se sont toujours distingués par leur abnégation, leur dévouement et leur compétence au service de l’unité de l’Afrique. Pouvait-il en être autrement de cette génération qui avait assimilé le message de leur surveillant général Ouezzin Coulibaly à l’occasion des présentations de vœux en 1940: «Puisque vous êtes une génération de transition, vous êtes une génération sacrifiée, mais faites en sorte que votre sacrifice ait un sens ».
La fierté des lauréats et leur sentiment d'appartenance à un corps d'élite, renforcé par le port de l'uniforme et des écussons, le partage des loisirs communs à travers le sport, la musique, le théâtre ou le scoutisme, ne font aucun doute.
Photos des normaliennes de Rufisque et des normaliens à Sébikotane
L’Ecole William Ponty de Sébikotane garda son recrutement fédéral jusqu’en 1961. Les promotions 1954 -1961 plus proches des indépendances témoignèrent le mieux l’histoire de l’émancipation des populations de l’AOF. Le culte de l’excellence, la soif d’apprendre, la vive émulation et l’esprit fraternel continuèrent à prospérer entre pontins.
LA PROMOTION 1954-1957
La photo de Nouakchott
En 2007, l’ex-Président de la République de Mauritanie, son Excellence Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallah (Promotion1954-1957) avait invité ses condisciples sénégalais aux cérémonies de son investiture à Nouakchott.
De gauche á droite Mansour SY, Louma SARR, Bouna GAYE, Sidi Mouhamed Ould Cheikh Abdallah, Abdoulaye WADE, Abdoul Khadir BARRY, Yérim MBODJ, Aliou DIENG.
LA PROMOTION 1957-1960
Au premier plan accroupi au centre : Youssoupha NDIAYE, Abdoul Hadir AIDARA, Colonel Amatn NIANG
TEMOIGNAGE D'ABDOUL HADIR AIDARA
«Notre promotion comptait 32 élèves, tous boursiers et internes. Nous vivions dans une défonce intellectuelle permanente, et le désir d’apprendre était notre crédo. Chaque année, les élèves décernaient la palme d’or au plus grand « bucheur » de l’établissement et je me souviens que c’est le voltaïque Bouréma Compaoré qui a eu la prouesse de conserver ce titre pendant trois années successives.
Nous eûmes le privilège de recevoir des professeurs certifiés, alors qu’au Cours Normal, nous n’avions que « des instituteurs supérieurs coloniaux». C’était une chance suprême pour les potaches que nous étions.
Les professeurs de mathématiques et de sciences physiques nouvellement affectés dans l’établissement, des certifiés, étaient des « nègres », des sénégalais de surcroit et faisaient l’objet de notre fierté. Nous apprîmes qu’ils avaient fait leurs études en France et que le matheux était un agrégatif. Leur présence dans cet établissement préparant au baccalauréat était pour nous les élèves, une source de motivation supplémentaire nous permettant de nous décomplexer de toutes les affirmations relatives aux prétendues insuffisances dont seraient congénitalement frappés les africains dans le domaine intellectuel.
Je me rappelle le premier cours de mathématiques qui fut un événement extraordinaire dans le vrai sens du terme. Le professeur qui entra dans la salle était un nègre. Il déclina son nom : « Monsieur Souleymane NIANG », donc un sénégalais. J’étais stupéfait comme sans doute tous mes camarades. Moi qui croyais que les enseignants noirs n’officiaient que dans le cours primaire, puisque je n’avais jusqu’ici rencontré que des professeurs blancs durant tout mon premier cycle. Les camarades dans les autres classes, tout hébétés devaient avoir la même pensée. Monsieur NIANG était très impressionnant. Il déterminait le point de départ de chaque cours en s’enquérant dans le cahier d’un élève des derniers termes du cours précédent. Il était toujours vêtu d’une magnifique veste blazer, et s’exprimait dans un français très châtié, dans un français de Paris."
Il en était de même pour Monsieur Ibrahima BA, brillant professeur de sciences physiques, l’alter ego de Monsieur NIANG. Je le revois encore vêtu de sa blouse blanche, debout, en train de diriger les séances de travaux pratiques dans le laboratoire. Je réentends sa formule miracle « f=mg », et ses propos surgissent soudain du passé, et viennent m’éclabousser comme une vague.
En ce qui me concerne personnellement, une grande admiration succéda à ma stupéfaction. Et au-delà de l’admiration, ce fut un éveil de conscience : des nègres pouvaient accéder, ici au Sénégal à un poste d’aussi haut niveau, alors que tout ce qui était important autour de nous, dans notre pays, à cette époque était décidé ou tenu, ou occupé, ou administré, ou commandé par des blancs. Nous les élèves, nous nous sentions à leur côté une proximité toute naturelle, contrairement au type de relation respectueuse, mais distante avec les autres. Je suivais assidument les cours de mathématiques et de sciences physiques. Ce qui me captivait dans ces leçons, en regardant les professeurs et en les écoutant, c’était d’abord leur prestance, leur calme, leur assurance et surtout leur aisance. C’est ensuite ce qu’ils représentaient pour nous : des noirs, des sénégalais pouvaient être de grands professeurs. »
A découvrir aussi
- Gorée (1913-1937) : L’institution se diversifie
- Les cahiers de Ponty à pages rouvertes… Par Amadou FALL & Mafakha TOURE *
- Les pontins : une élite intellectuelle contestataire
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 94 autres membres